Plus de dettes à la retraite!

Plus de dettes à la retraite!

Par Sophie Stival

Crédit photo: Sabine Peters via Unsplash

Rembourser ses dettes alors qu’on ne travaille plus n’est pas une sinécure. L’équilibre financier est fragilisé par des revenus souvent faibles et instables. Voici nos solutions. 

On ne se réveille pas un matin étranglé par les dettes. Cette réalité s’impose de façon plus insidieuse. On éprouve par exemple des difficultés depuis quelque temps à payer certaines factures. On accumule tranquillement des montants sur une ou plusieurs cartes de crédit dont on paie chaque mois seulement le solde minimum. La tension s’installe dans notre ménage. On commence à recevoir des appels: notre institution financière a refusé d’honorer un chèque que nous avions signé... Ceux qui vivent une séparation et se retrouvent seuls sont particulièrement vulnérables.

«Les gens cognent à notre porte à la recherche de solutions. Dans la cinquantaine, certains connaissent la maladie et n’ont pas toujours d’assurance salaire. D’autres sont travailleurs autonomes, sans coussin financier en cas d’imprévu», raconte Éric Lebel, associé et syndic autorisé en insolvabilité chez Raymond Chabot Grant Thornton. À la retraite, on oublie souvent que nos revenus ne sont plus les mêmes que pendant notre vie active. En l’absence d’un régime de pension d’employeur, on pourrait ne pas avoir accumulé assez d’épargne-retraite. Certaines circonstances forcent aussi à quitter le marché du travail.

Les problèmes peuvent alors surgir lorsqu’on a plusieurs cartes de crédit et qu’on ne ralentit pas son rythme de vie. «Même si nos revenus diminuent, on ne nous enlève pas pour autant nos cartes de crédit à la retraite. On n’est pas incité non plus à réduire nos limites de crédit. Il suffit de dépenser 100 $ ou 200 $ au-dessus de nos moyens tous les mois et au bout de quelques années, on accumule quelques milliers (voire des dizaines de milliers) de dollars de dettes», souligne Éric Lebel.

L’insolvabilité ou le surendettement survient lorsqu’on ne peut plus payer certains frais au fur et à mesure. «Par exemple, si je fais une avance de crédit d’une carte vers une autre pour en payer le minimum ou pour gagner du temps», illustre notre expert. Selon lui, de nombreux consommateurs retardent le plus longtemps possible le moment où demander de l’aide. Ils ont peur du syndic ou craignent de faire faillite.

L’étape du budget

Ceux qui reconnaissent avoir un problème d’endettement et consultent un professionnel sont généralement frappés de plein fouet au moment de dresser un budget de leur situation. «C’est comme de monter sur la balance quand on a pris du poids. On entrevoit un résultat négatif et on a peur», observe Éric Lebel. Mais en sachant ce qu’il nous en coûte chaque mois pour nos dépenses courantes et le remboursement de nos dettes, on pourra plus aisément couper le superflu. Le budget demeure aussi le meilleur outil de prévention de l’endettement puisqu’on voit où chaque dollar est dépensé, ce qui nous incite à respecter nos objectifs. 

En 2019, le Bureau du surintendant des faillites estimait le coût de la vie d’une personne vivant seule à environ 2 200 $ par mois. Cela comprend les frais pour se nourrir, se loger et se vêtir, tout comme les services publics, les médicaments, les soins corporels, le transport, les frais d’assurance, etc. Les coûts liés à la possession d’une voiture n’entrent cependant pas dans ce calcul. «Cela se traduit par un revenu brut de quelque 30 000 $ par année. Avec ce montant, on ne fait pas de folies et on ne va pas en vacances. Si on a une auto, il faut compter environ 700 $ de frais mensuels supplémentaires, pour un coût de vie d’environ 2 900 $ par mois, soit quelque 50 000 $ de revenu brut annuel», indique Éric Lebel. Pour un retraité qui vit seul, c’est beaucoup de sous et plusieurs ne le réalisent pas.

Par ailleurs, il est inquiétant de noter que la proportion de personnes de 65 ans et plus qui ont une dette s’est accrue depuis deux décennies. Ainsi, entre 1999 et 2016, ce pourcentage est passé de 27 % à 42 % au Canada. Une fois ces constats dressés, comment peut-on éliminer ses dettes?

Quelles solutions?

Il existe plusieurs façons de prendre le taureau par les cornes. Mais avant d’agir drastiquement, on se demande s’il n’y a pas des biens dont on pourrait disposer, que ce soit un deuxième véhicule, un motorisé ou même une roulotte qu’on garde pour les vacances estivales. Autre solution parfois envisagée: la consolidation de nos dettes, qui vise à regrouper celles-ci à un seul endroit, souvent auprès de notre institution financière principale. L’idée sera d’obtenir un taux d’intérêt et des modalités (durée du remboursement) plus avantageux. Mais soyons réalistes, les banques prêteront généralement si la personne a les moyens de rembourser sa créance. «Elles n’ont pas intérêt à accorder des prêts personnels pour repayer des dettes de cartes de crédit lorsqu’on a des problèmes financiers ou qu’on a pris du retard et qu’on ne peut plus payer. Elles préfèrent financer des projets comme l’achat d’une voiture ou d’une propriété. Elles sont alors protégées par un actif.» 

Si on est propriétaire d’un condo ou d’une maison, on peut être tenté d’emprunter sur la valeur résiduelle. «Toutes les institutions bancaires ne l’acceptent pas, surtout après 65 ans. Il faudra évaluer la capacité de l’emprunteur à rembourser cette nouvelle hypothèque. Parfois, des prêteurs privés de second rang prendront le relais, mais les taux exigés seront plus élevés qu’une banque traditionnelle.» Le syndic autorisé en insolvabilité devra alors évaluer si les revenus du particulier suffisent à repayer ses dettes en considérant le coût de la vie. On calculera notamment le montant disponible tous les mois pour rembourser la dette accumulée. 

Un particulier pourrait souhaiter payer volontairement ses créanciers en proportion de leurs réclamations et selon sa capacité à les rembourser. En faisant un dépôt volontaire, on peut éviter d’être saisi, ou encore de déclarer faillite. «Cela se traduit par une remise volontaire de 30 % de nos revenus bruts. On payera donc nos créanciers aussi longtemps que nos dettes ne seront pas entièrement remboursées. Cette solution est rarement utilisée, car elle est très contraignante et les gens viennent pour la plupart nous consulter, car ils ont de gros problèmes financiers.»

La proposition de consommateur peut être une alternative à la faillite: on remboursera ses dettes mensuellement pendant un délai maximum de 5 ans, et ce, selon sa capacité de payer. Le syndic autorisé en insolvabilité évaluera ainsi la capacité à rembourser les créanciers et leur proposera une offre généralement en pourcentage des montants dus. Si elle est acceptée, la proposition permet aussi d’éviter la saisie des actifs et d’arrêter les procédures légales intentées par les créanciers. Prenons l’exemple de Guy, qui doit 40 000 $ à trois créanciers. Si ce dernier a la capacité de rembourser 300 $ par mois pendant cinq ans, il leur aura remis 18 000 $ au bout de ce terme en paiement complet et final. C’est donc moins que la moitié du montant dû. Ses créanciers accepteront-ils? «La plupart diront oui, car si Guy fait faillite, les créanciers pourraient ne rien recouvrer, rappelle Éric Lebel. Plusieurs personnes refuseront à tout prix de faire faillite. C’est une question de principe. Même si financièrement c’est plus contraignant, elles préféreront la proposition de consommateur. Le sentiment d’échec est souvent moins grand, car les créanciers auraient pu refuser notre offre, mais ils ont décidé de l’accepter.»

Comme lors d’une déclaration de faillite, la proposition de consommateur aura un impact négatif sur la cote de crédit du particulier. Cette dernière sera entachée pendant une période de trois ans suivant le paiement complet aux créanciers. Dans le cas d’une première faillite, cette cote sera affectée durant les six ans suivant la date de libération.

Faire faillite

Finalement, la faillite peut être envisagée lorsqu’on n’a pas d’actifs à préserver comme une voiture ou une propriété. La décision dépendra bien sûr de la capacité de remboursement de la personne endettée. Celle-ci devra être jugée insolvable et démontrer qu’elle est incapable pour différentes raisons de payer ses dettes au fur et à mesure de leur échéance.

«Ce pourrait être le cas d’un entrepreneur qui aurait eu un commerce et se retrouve avec quelques centaines de milliers de dollars de dettes à rembourser jusqu’à sa mort. La faillite, c’est la possibilité de recommencer à zéro. C’est aussi un moyen d’éviter à certains de subir une dépression, voire même de commettre un suicide.» La plupart des dettes (soldes impayés de cartes de crédit, dettes de marge de crédit, prêts personnels, dettes fiscales) entreront dans la faillite. Si cette option libère de la plupart des dettes, ce ne sera pas le cas d’une pension alimentaire, toutefois. Même chose lorsqu’on reçoit une amende ou dans le cas d’une dette contractée en raison d’une fraude.

Le syndic autorisé en faillite est le seul professionnel au Canada pouvant offrir ses services aux personnes avec des problèmes d’endettement. Il les aidera à prendre des décisions éclairées en leur proposant toutes les options possibles. Il traitera notamment avec les créanciers en leur nom. Ses honoraires sont réglementés par le gouvernement fédéral et généralement modulés selon le type de solution choisie et le montant de l’entente.

Presque le triple après 65 ans!

Idéalement, on aurait peu ou pas de dettes après 65 ans. Plusieurs ont alors quitté le marché du travail et doivent compter sur leurs revenus de pension ou gruger leurs économies. Selon une étude de Statistique Canada, la dette des personnes âgées de 65 ans et plus au pays a presque triplé entre 1999 et 2016. Ce montant ajusté pour l’inflation est donc passé de 9 000 $ à 25 000 $. La vigueur du marché immobilier est au banc des accusés. Ainsi, environ les deux tiers de cette croissance du niveau d’endettement des ménages proviendraient de la dette hypothécaire. 

La différence serait attribuable aux dettes de consommation, comme des soldes impayés de cartes de crédit, une marge de crédit, un prêt bancaire, un prêt auto ou des factures impayées. Une bonne nouvelle par contre: la valeur des actifs de ces ménages, après déduction des dettes, a aussi grimpé. Cette valeur nette médiane est passée de 298 900 $ en 1999 à 537 400 $ en 2016. Les personnes de 65 ans et plus avec un faible niveau de scolarité ou celles vivant seules seraient, pour leur part, plus vulnérables puisque la valeur nette de leurs actifs n’a pas autant augmenté durant cette période.

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