Plamondon: homme de paroles

Plamondon: homme de paroles

Par Manon Chevalier

Crédit photo: Monic Richard

«De quoi voulez-vous qu’on parle? Pas de mon âge, j’espère?!» lance-t-il d’entrée de jeu avec humour. Le ton est donné. Volubile et généreux au bout du fil malgré un léger retard sur son horaire, Luc Plamondon est un homme heureux. Et ça s’entend à la façon dont il parle avec ardeur de son métier. «J’ai la chance d’avoir des chansons qui m’ont suivi tout au long de ma vie. Franchement, mis à part Aznavour, il n’y a pas beaucoup d’auteurs dont les textes sont encore d’actualité comme les miens. Les grandes chansons, on les écrit toujours avant d’avoir 40 ans, tranche-t-il dans un même souffle. On n’a qu’à penser à celles de Trenet, de Brel, de Brassens, de Vigneault… Écrire une chanson, ça part d’un bref moment d’inspiration, mais après, il faut la reprendre et bûcher.

— Quel est votre moment préféré dans l’écriture d’une chanson?

— Quand elle est finie! Le flash de départ, c’est très fort. C’est une jouissance, c’est sûr. Mais on n’est jamais certain de pouvoir finir une chanson. Des fois, on a des doutes. C’est bien beau de trouver "Stone, le monde est stone", mais qu’est-ce qu’on en fait après?»

Ce qui lui fait dire qu’une chanson, c’est trois minutes d’inspiration et 30 heures de travail. Ou dix ans, comme pour celles qui composent sa comédie musicale Rosemonde, inspirée du compositeur autrichien Franz Schubert, qu’il pense boucler d’ici la fin de l’année. Cela dit, pour le parolier, une chanson n’est pas terminée tant qu’elle n’est pas enregistrée. «Je me donne le droit de la retoucher. Mais une fois qu’elle est fixée, je ne me pose plus de questions. Enfin, à condition que la chanson soit réussie! Encore là, j’ai eu la chance d’écrire des chansons qui ont trouvé les mélodistes et les interprètes idéaux. L’amour existe encore chantée par Céline Dion, c’est la perfection! Cette chanson-là, je l’ai traînée pendant cinq ans dans mes bagages avant qu’elle trouve son interprète! C’est une de mes chansons les plus connues, avec Le blues du businessman. D’autres n’ont pas eu le succès escompté ou sont totalement oubliées, sans qu’on sache vraiment pourquoi… Par exemple, j’ai fait 75 chansons pour Diane Dufresne, c’est énorme! Vingt-cinq sont devenues des numéros un, mais il y en a d’autres, moins connues, qu’elle a pourtant interprétées de façon magistrale…» laisse-t-il tomber, convaincu que chaque chanson porte en elle sa part de mystère. 

Le cœur voyageur

Celui qui, depuis plusieurs années, partage sa vie entre Paris, la Floride et Montreux, en Suisse romande, est de passage à Montréal pour une dizaine de jours. «Je suis bien partout, autant chez moi que dans une chambre d’hôtel. Mais j’ai toujours du mal à m’arracher de l’endroit où je me trouve. Alors, je m’arrange pour faire de longs séjours à chaque fois.» Il en profite alors pour mieux se pencher sur les nombreux projets dans les coins du monde qui l’appellent. Parmi les plus prenants au Québec, il y a cet album de Brigitte Boisjoli, qui reprendra à sa manière des chansons de l’auteur, dont quelques-unes plus confidentielles, et auquel Luc Plamondon ajoute son grain de sel. Un duo étonnant? Pas quand on connaît l’affection teintée d’admiration que l’auteur porte à la jeune interprète: «Brigitte mord dans chaque mot et fait preuve d’une rare polyvalence. Il faut l’entendre chanter Oxygène: ça déménage!» D’ici la sortie de l’album en octobre prochain, Luc Plamondon prête de son temps à Stone – Hommage à Plamondon, qui est présenté cet été à Trois-Rivières. 

Cette troisième édition de la Série Hommage du Cirque du Soleil, placée sous la direction créative de Daniel Fortin, portera sur scène plusieurs textes de ses chansons riches en symboles. «L’an dernier, j’ai été ébloui par l’hommage rendu à Charlebois. C’était une production imaginative, qui mélangeait avec brio les effets spéciaux, les numéros de cirque et les prestations musicales. Je suis honoré qu’on ait pensé à moi pour cet opéra rock-punk-baroque. Il racontera l’histoire d’une chanteuse aphone empruntant 14 voix différentes avant de trouver la sienne. Au moment où on se parle, la liste des chansons n’est pas définitive. J’imagine que les plus grandes feront partie du spectacle, mais je tiens à ce qu’on me garde la surprise.» À l’évidence, c’est déjà un véritable exploit de sélectionner 14 chansons parmi les centaines de succès de son répertoire, dont plusieurs sont devenus des classiques de la chanson francophone. Du Blues du businessman à Les uns contre les autres, en passant par Cœur de rocker ou Belle, la liste est longue!

Voyeur visionnaire

Grand défenseur des droits d’auteur et de la langue française, reconnu pour ses coups d’éclat, Luc Plamondon est d’abord et avant tout un fin analyste de l’âme humaine. Dans un rare moment de candeur, il a déjà révélé à Thierry Ardisson, alors animateur de l’édition française de Tout le monde en parle, ce qui le poussait à toujours porter des lunettes noires. «Un auteur, c’est un voyeur. Moi, je regarde les gens vivre et j’écris leur vie sans qu’ils le sachent. C’est pour ça qu’ils se reconnaissent dans mes chansons.» Animé depuis toujours par le goût des autres, il aime les voir vivre, aimer, désaimer, capituler comme triompher… Et pourtant, il est d’avis que l’homme ne change pas. «Depuis les tragédies grecques, c’est le même théâtre, seuls le décor et l’entourage changent. Les sentiments humains restent les mêmes.» Il prend pour exemple son opéra rock Starmania, dont les textes demeurent d’une brûlante actualité alors que l’album a été lancé en 1978. «Ils racontent un monde où plane l’ombre du terrorisme, avec un milliardaire, Zéro Janvier, trônant sur son immeuble de 121 étages, qui se lance en politique… Tout ça, c’est Trump! Quarante ans plus tard!

— Le fait d’avoir eu ce genre de vision, ça vous fait peur?

— Ça me rassure plutôt sur le fait de ne pas être un has been! 

— L’idée vous a déjà effleuré l’esprit?

— Franchement, non. J’ai décidé que je n’avais pas d’âge et que je n’en parlerais plus. Et, surtout, que je n’y penserais plus! Je continue de vivre comme je vivais à 40 ans, je me sens comme un gars de 50 ans, pas de mon âge.»

Il n’en dira pas plus ni ne vantera les bienfaits du passage du temps, même s’il a célébré ses 75 ans en mars dernier. En revanche, il parle avec fougue de ses jeunes années, passées à Saint-Raymond dans Portneuf, près de Québec, qu’il a vite quitté pour étudier et voir du pays. «Mes parents me destinaient à la prêtrise. Je suis entré au séminaire pour être prêtre et j’en suis sorti poète! Je rêvais d’être chanteur ou acteur. Mais bon, on m’a fait comprendre que je n’avais aucun talent. À 20 ans, je suivais des cours en lettres à l’Université de Montréal, mais je m’ennuyais… Au bout d’un an et demi, j’en avais assez! Je me suis découvert un talent pour les langues. Je voulais voir le monde.» Pendant toute sa vingtaine, il enchaîne les voyages au Mexique, puis en France, en Espagne, en Grèce, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Italie, où il apprend chaque fois la langue du pays. «Je voulais voir tous les musées, toutes les églises des grandes capitales d’Europe. J’étais vraiment assoiffé! Je dévorais tous les films, tous les livres, toutes les toiles des grands maîtres! Dans les années 1960, on pouvait encore acquérir une culture générale, alors qu’aujourd’hui…» se désole-t-il avec une pointe de nostalgie dans la voix.

À l’été 1979, sa carrière prend son envol avec la chanson Les chemins d’été (Dans ma Camaro), qu’il écrit en trois jours, en réponse à un défi que lui avait lancé le compositeur André Gagnon. Depuis, il n’a cessé de prêter sa plume aux plus grands interprètes, dont Diane Dufresne, Julien Clerc, Robert Charlebois, Nicole Croisille, Barbara et Céline Dion, sans oublier les Martine Saint-Clair, Françoise Hardy, Ginette Reno, Johnny Hallyday, Catherine Lara et bien d’autres. «En plus de 45 ans de métier, j’ai écrit 400 chansons, si on compte aussi celles de mes opéras, comme La Légende de Jimmy ou Notre-Dame de Paris.» Des textes souvent sombres, voire tragiques, qu’il a pourtant écrits à des moments où il était sans souci ou comblé par la vie. Michel Berger, avec qui il a conçu l’opéra rock Starmania, lui avait d’ailleurs dit: «J’écris ce que je vis; toi, tu écris ce que tu vois.» L’auteur voyeur n’est jamais loin! 

Chuuuuut!

Star parmi les stars, Luc Plamondon s’avoue pourtant avide de nature et de tranquillité. «J’ai besoin de beaucoup de silence… Beaucoup de silence. J’adore me faire des journées sans bruit. Dimanche dernier, je ne suis pas sorti une seule fois. Je n’ai allumé ni la télé ni la radio. Je n’ai pas écouté de musique.» Il profite le plus souvent de ces pauses pour lire, écrire, réfléchir… «J’adore manger sans musique, même quand j’ai des invités. D’ailleurs, je déteste tellement les restos à la musique assourdissante que je n’y retourne jamais. Quand je mets de la musique chez moi, c’est pour l’écouter. Je n’ai pas envie d’écouter un air pendant que je fais autre chose. En plus, comme je suis très distrait, je m’arrange pour ne faire qu’une seule chose à la fois!» 

À raison. Car, comme tous ses proches le savent, Luc Plamondon est d’une incroyable distraction! Les anecdotes pleuvent, entre la fois où il a échappé son téléphone intelligent dans les toilettes et tenté de le faire sécher… au micro-ondes, et celle où il a brisé une enfilade de verres en versant du vin à ses invités. L’auteur raconte lui-même, avec une verve inimitable, le moment où, en voyage à Ibiza, il a plongé «flambant nu et tête baissée sur un banc d’oursins. Je suis sorti de l’eau le corps couvert d’épines! J’ai fait de la fièvre pendant 48 heures. Mais ça ne vaut pas la fois où je me suis fait renverser par un bus en traversant la rue en Inde! Je me suis relevé indemne. C’était un vrai miracle! Ce jour-là, j’ai compris que j’avais une bonne étoile.» On le croit sur parole. 

Stone – Hommage à Plamondon, jusqu'au 19 août, à l’Amphithéâtre Cogéco de Trois-Rivières. Billets: amphitheatrecogeco.com.

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