Migraine: causes et solutions

Migraine: causes et solutions

Par Guy Sabourin

Crédit photo: iStockphoto.com

Savez-vous ce qui frappe le plus le neurologue Michel Aubé, grand spécialiste de la migraine, professeur à la faculté de médecine de l’Université McGill? «Le niveau d’invalidité que subissent encore 50% des migraineux tout simplement parce qu’ils ne sont pas diagnostiqués», dit-il.

Mais tant de personnes aux prises avec la migraine sont-elles encore laissées à elles-mêmes, la tête dans l’étau? «La migraine ne tue pas; les médecins ont tendance à s’en désintéresser lorsqu’ils ont éliminé les grandes tumeurs cérébrales et les menaces de ce genre. Après quelques analyses, les patients se font dire qu’ils n’ont rien…», explique le Dr Aubé. Par ailleurs, selon une étude américaine qui date de cinq ou six ans, une quantité phénoménale de migraineux se croient atteints de ce que l’on appelle le Sinus headache, ou mal de tête des sinus. Ils ont établi le diagnostic eux-mêmes… mais il est faux! Résultat: croyant savoir ce dont ils souffrent, ils ne consultent pas, ne reçoivent pas les bons traitements et continuent de souffrir.

Un bon diagnostic

Pour le Dr Michel Aubé, le bon diagnostic, le plus précis possible, reste la pierre angulaire à tout traitement efficace de la migraine, qui doit d’abord être distinguée des autres types de maux de tête (grande famille des céphalées). Il faut avoir eu des migraines plus d’une fois et de nature similaire avant de rencontrer le médecin à ce sujet; le diagnostic ne peut être établi dès la première attaque.

La migraine existe sous deux formes. Sans aura: elle doit être survenue au moins 5 fois dans le passé et avoir duré de 4 à 72 heures (en moyenne 24 heures). La douleur ne touche que la moitié du crâne et obéit à au moins deux des caractéristiques suivantes: elle est pulsative, modérée à sévère, aggravée par l’effort physique. Elle doit avoir en plus deux autres caractéristiques parmi les suivantes: nausées et/ou vomissements ou encore intolérance à la lumière (photophobie), au bruit (phonophobie) ou aux odeurs (osmophobie).

La migraine avec aura obéit aux mêmes critères diagnostiques que la migraine sans aura, sauf que deux épisodes antérieurs suffisent à poser ce diagnostic. Environ 1 migraineux sur 5 éprouve une aura qui dure de 15 à 30 minutes juste avant le mal de tête. Dans son champ visuel, le migraineux voit une brillance; ce sont des points ou des lignes, d’abord au centre, puis envahissant toute la largeur de sa vision qui devient embrouillée. Parfois, une main, puis le visage du même côté, deviennent engourdis et, quoique rarement, cela perturbe aussi le langage. Ce sont des symptômes neurologiques progressifs, transitoires et totalement réversibles, même s’ils sont paniquants.

Attention aux préjugés!

D’autres considérations peuvent aider au diagnostic. Il y a souvent de la migraine dans la famille immédiate. Les migraines des femmes arrivent assez souvent à un moment précis de leur cycle menstruel. Les migraines peuvent aussi suivre des périodes d’insomnie ou de stress, ou être déclenchées par des signes avant-coureurs qui se répètent d’une fois à l’autre.

Plus vous en savez au sujet de votre migraine, plus vous pouvez apporter de précisions au médecin. La migraine affecte à peu près 1 adulte sur 10 et 3 migraineux sur 4 sont des femmes. Règle générale, 1 fois sur 5, la migraine évolue et devient maladie chronique, avec symptômes 15 jours par mois. Quand la migraine est d’origine menstruelle, elle disparaît peu à peu avec la ménopause.

Attention aux préjugés!

Le Dr Aubé est catégorique: la migraine n’est pas une maladie psychologique. Trop de monde, et même des médecins, le croient malheureusement encore. «Je déteste me faire demander par des amis, à la suite d’une migraine: “Qu’est-ce qui te stresse tant?”, alors que mes migraines n’ont rien, mais rien à voir avec le stress», insiste Sylvie Gervais, une enseignante dans la cinquantaine qui souffre de sévères migraines depuis une dizaine d’années.

«On associe à la migraine des troubles comme l’anxiété et la dépression, mais c’est totalement faux», confirme le Dr Michel Aubé. La méconnaissance crée des ravages parce qu’elle oblige le migraineux à prouver qu’il souffre bien de migraine, et non pas de troubles psychologiques. Or, un malade n’a rien à prouver. Il a besoin d’être écouté, cru, soigné.

«La migraine n’est pas un mal de tête, insiste le pharmacien Jean-Yves Dionne, spécialiste des produits de santé naturels et professeur en la matière à la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. C’est beaucoup plus sérieux, beaucoup plus souffrant. Le migraineux qui s’absente du travail n’est pas un paresseux: une migraine vous cloue au lit, rien de moins.»

Aujourd’hui, le courant de pensée qui fait unanimité, que véhicule par exemple l’International Headache Society et auquel souscrivent aussi bien Michel Aubé que Jean-Yves Dionne, même si leur approche respective pour la soigner diffère, c’est que la migraine tire son origine du cerveau. La douleur ne serait qu’un signal.

Douleur = signal

Douleur = signal

La douleur – le mal de tête en tant que tel – n’est que l’un des symptômes de la migraine. La plupart des personnes atteintes la «sentent venir». Elles ont des prémonitions. Elles deviennent hypersensibles aux odeurs, aux bruits, ont parfois la nausée ou des étourdissements. D’autres ont davantage faim, ou encore pas faim du tout. Même chose avec la soif. Ensuite, après le mal de tête très douloureux, vient le postdrome, qui dure de quelques heures à quelques jours. Le temps de récupérer, pourrait-on dire, de se reposer, avant que tout rentre dans l’ordre. Durant cette phase, plusieurs ont très sommeil.

Qu’est-ce qui déclenche tout ça? Peut-être la sérotonine, un neurotransmetteur qui semble ne pas fonctionner correctement dans le cerveau des migraineux. Faute de sérotonine, dont l’action est de ralentir certaines activités cérébrales, des zones du cerveau s’excitent, se trouvent hyperstimulées. Cela dure jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’énergie disponible pour maintenir un tel niveau d’activité.

S’il est vrai que les vaisseaux sanguins du cerveau enflent pendant une migraine – ce que l’on a longtemps pris pour la cause de la maladie –, il est aujourd’hui prouvé que c’est justement l’augmentation de l’activité de certaines zones qui occasionnent cet afflux sanguin plus grand que d’ordinaire. Si tout concorde pour pointer du doigt la sérotonine, aucun scientifique n’ira jusqu’à l’affirmer hors de tout doute. La migraine traîne encore son aura de mystère, même en 2008.

Un calendrier de la migraine

La principale recommandation du Dr Aubé pour en arriver à un bon diagnostic, par conséquent au meilleur traitement individuel possible, c’est de tenir un calendrier de la migraine. Puisqu’il est difficile de se rappeler tout ce qui entoure l’arrivée d’une migraine, et surtout les similitudes entre ce qui déclenche les crises, le mieux consiste à noter le plus de détails possible sur une sorte de calendrier que l’on peut ensuite montrer au médecin.

Y figureront la date de la migraine, son intensité, ce qui l’a déclenchée selon vous (manque de sommeil, repas sauté, certains aliments, lumière, bruit, odeurs ou autres causes), ce que vous avez fait pour la combattre (médicaments ou produits naturels) et l’efficacité de ces traitements. Pour les femmes, encerclez également les jours des menstruations. Évidemment, ce calendrier portera sur le nombre de jours du mois et comprendra 1 page par mois. «C’est souvent grâce à ce calendrier que l’on peut identifier les facteurs déclenchants, précise le Dr Aubé. Et quand on sait qu’en les contrôlant on peut diminuer la fréquence des migraines de 30%, ce n’est absolument pas négligeable! Par ailleurs, à partir de ces informations, on peut déterminer quelle sera la meilleure approche pharmacologique, non seulement pour soulager la crise aiguë, mais aussi pour établir un traitement préventif au besoin.»

Les déclencheurs

Les déclencheurs

La migraine n’est pas toujours le résultat d’un déclencheur. «Je n’ai jamais rien trouvé qui déclenche les miennes, précise Sylvie Gervais. Elles arrivent, c’est tout.» D’autres, par contre, peuvent mettre le doigt précisément sur ce qui déclenche les leurs.

Au chapitre des déclencheurs, le stress arrive bon premier. C’est surtout quand il retombe que la migraine prend la relève. C’est pourquoi, justement, certains auront leurs migraines les fins de semaine, quand le stress associé au travail fait relâche.

Ensuite, toute modification au cycle idéalement régulier éveil/sommeil peut engendrer une migraine. Jeûner un peu ou beaucoup peut également la déclencher.

Au moins 3 à 4 migraineux sur 10 ont noté que certains aliments déclenchent la leur. «Ce qu’il faut alors regarder, c’est ce que l’on a mangé quelques heures seulement avant la crise, pas la veille ou l’avant-veille», précise Michel Aubé. Quelques additifs alimentaires reviennent souvent sur la table : nitrites, glutamate monosodique, aspartame et sulfites. Certains fromages et produits fermentés, comme la bière et le vin, contiennent des amines biologiques qui déclenchent parfois la migraine. Certains sont sensibles à la caféine… et au chocolat puisqu’il en contient. Le Dr Aubé recommande aux migraineux qui sont sensibles au chocolat de s’abstenir de café durant trois mois, histoire de vérifier si la caféine semble avoir une incidence sur leurs migraines.

La soigner

Si, du point de vue du patient, l’origine de la migraine importe peu, en fait, qu’elle soit soignée efficacement demeure par contre de la première importance. Parce que cette maladie est non seulement douloureuse, mais invalidante. «Il m’arrive, hélas!, d’avoir à annuler à la dernière minute une fin de semaine de vacances planifiée et réservée quand une migraine me cloue au lit…», illustre Sylvie Gervais.

Les traitements ont beaucoup évolué au cours des 10 dernières années. Donc, pas question de continuer à souffrir pour rien. S’il y a plusieurs familles de médicaments pour soulager la douleur, les triptans sont à mettre au premier rang. «Une récente étude canadienne au cours de laquelle on a demandé à des médecins d’analyser la qualité du traitement de leurs patients souffrant de migraine vient de montrer que 7 patients sur 10 ont largement bénéficié d’un triptan pour soulager leur migraine», confirme Michel Aubé. Cette classe comporte cinq ou six produits, chacun possédant des propriétés pharmacologiques légèrement différentes, «ce qui nous permet de modifier le traitement pour trouver le bon produit pour un individu, quand il réagit mal à celui qu’il utilise», précise le médecin.

Il faut savoir le prendre, ce triptan! Normalement, dès l’apparition des premiers symptômes, sans tarder. Il a été démontré qu’ajouter un traitement non spécifique (un anti-inflammatoire non stéroïdien, comme Advil, Aspirine ou Tylénol, par exemple), augmente encore le soulagement de la migraine. «Il arrive même que ces médicaments, pris seuls dès l’apparition des symptômes, suffisent à calmer la migraine», ajoute Jean-Yves Dionne.

Prévention et produits naturels

Prévention

Quand la migraine diminue beaucoup la qualité de vie, quand les attaques s’accélèrent, quand quelqu’un doit se traiter plus de deux à trois fois par semaine ou quand trois attaques ou plus par mois restent mal contrôlées, on peut initier un traitement préventif. Avant de décider si un médicament à prendre chaque jour fait l’affaire, il faut l’essayer pour un minimum de trois mois. Quand ça fonctionne, le nombre de migraines diminue de moitié.

À la fin du traitement préventif, qui dure au plus de 6 à 12 mois, la diminution de fréquence des migraines se maintiendra chez environ le quart des patients. Le Dr Aubé explique ce succès par les changements que font les migraineux à leur mode de vie quand ils décident de prendre en main le traitement de leur migraine.

Les médicaments qui servent à prévenir les attaques ont été découverts pour d’autres raisons, mais se sont aussi, à l’usage, avérés antidouleur. Il s’agit des antidépresseurs tricycliques à faible dose, les bêta-bloqueurs et les antiépileptiques qui réduisent l’excitabilité cérébrale et quelques bloqueurs calciques pour traiter l’hypertension artérielle et l’angine de poitrine. Ce sont des médicaments à surveiller de près puisqu’ils induisent certains effets secondaires pas toujours agréables ni bien tolérés… qui sont parfois moins pires, néanmoins, qu’une migraine.

Et les produits naturels?

En feuilletant certains ouvrages, vous serez étonné de la panoplie d’approches proposées pour atténuer la souffrance migraineuse: acupuncture, biofeedback, ostéopathie, hypnose… sans compter toute une gamme de préparations naturelles à base de grande camomille, de magnésium, de mélatonine, d’huile de poisson et de 5-HTP.

Qu’en penser? Si aucune de ces méthodes n’a d’assises scientifiques, il n’en demeure pas moins, aux yeux du Dr Aubé, que l’effet placebo est tout à fait remarquable. «De l’ordre de 30%, dit-il. Le fait d’entreprendre une démarche quelconque pour améliorer son sort, pour prendre le contrôle de sa condition, amplifie l’effet placebo. Et je ne le dis pas dans un sens péjoratif; l’effet placebo est une modalité de traitement non négligeable.»

«Mes années de pratique m’ont permis de constater l’efficacité de l’acupuncture et de l’ostéopathie pour plusieurs personnes, dit pour sa part Jean-Yves Dionne. Mais j’insiste: ça ne marchera pas pour tout le monde. D’ailleurs, aucune méthode n’est universelle, même les triptans, plus efficaces chez les uns que chez les autres.»
Selon lui, la prévention devrait primer. «En travaillant sérieusement sur un journal alimentaire et un calendrier de la migraine, on devrait pouvoir identifier un ou des facteurs aggravants et chercher ensuite à le ou les contourner.»

Au chapitre des plantes médicinales, la matricaire peut être utile pour prévenir les crises. «Il faut en prendre sur une base régulière, et ne pas en attendre de miracle», précise Jean-Yves Dionne. L’extrait d’écorce de saule reste à ses yeux un produit analgésique encore plus efficace que l’aspirine, qui tire aussi son origine de l’écorce du saule. Plusieurs migraineux ont également profité à des degrés divers de diverses approches de relaxation.

Mise à jour: juin 2008

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