Le jeu pathologique, traitement et prévention

Le jeu pathologique, traitement et prévention

Par Françoise Genest

Gagner le gros lot! Voilà un rêve que caressent bon nombre d’entre nous. Un rêve qui se traduit pour l’État en espèces bien sonnantes. En 2011-2012, loteries, casinos, appareils de loterie vidéo (ALV) et bingos ont fait entrer plus de 3, 658 milliards de dollars dans les caisses de Loto-Québec. Une somme plutôt rondelette! Cela dit, les Québécois sont tout de même les joueurs qui misent le moins dans tout le Canada. Selon les données du dernier budget provincial, les dépenses par adulte pour les jeux de hasard et d’argent (JHA) se chiffraient en 2012 à 583$, comparativement à 770$ dans l’ensemble du pays.

Les Québécois, des joueurs modérés

Le Québec remporte également la palme du plus petit pourcentage de joueurs pathologiques au Canada. À peine 0,7% de la population (contre 1,4% au Manitoba) souffre de jeu pathologique, et environ 1,3% risque de développer cette dépendance. Au cours d’une année, près de 30% des Québécois ne jouent à aucun JHA, et les 68,5% qui jouent sont des joueurs sans problèmes ou à faible risque. Ces chiffres proviennent d’une étude effectuée en 2009 auprès de 11 088 personnes par Sylvia Kairouz, professeure agrégée au département de sociologie et d’anthropologie de l’Université Concordia, et Louise Nadeau, professeure agrégée au département de psychologie de l’Université de Montréal.

Contrairement à la croyance populaire, la dépendance au jeu est donc très peu répandue. «Bien moins que l’alcoolisme ou la toxicomanie, ajoute Louise Nadeau. Le jeu pathologique ne représente pas un enjeu de santé publique. Cela relève du domaine clinique. Néanmoins, il est important de mener, à titre préventif, des campagnes de sensibilisation visant les joueurs à risque.»

Et les personnes âgées? «Celles qui vont dans les casinos le font pour s’amuser en groupe. Nos chiffres montrent qu’il n’y a pas plus de joueurs compulsifs chez les plus de 55 ans que chez les autres adultes.»

Il n’y a pas non plus de problèmes majeurs avec le jeu en ligne. Attention, toutefois: il ne faut pas confondre la cyberdépendance, qui peut inclure les jeux vidéo, les jeux de patience ou de mots, etc., avec les jeux de hasard et d’argent en ligne. Alors qu’en Europe environ 6% de la population joue à des JHA en ligne, au Québec la proportion est de 1,4%. «Parmi ces derniers, à peine 6% ont une dépendance, et ils jouent tous à d’autres jeux, d’après une étude qui s’est terminée en 2012», indique Mme Nadeau.

Quand le jeu tourne au cauchemar

Même s’il est peu répandu, le jeu pathologique est dramatique pour les quelque 42 000 Québécois qui en souffrent et pour leurs familles. De tels joueurs peuvent jouer et perdre leur maison, leur REER, faire exploser leurs cartes de crédit, emprunter partout et à tout le monde, même au risque de se frotter à des créanciers peu scrupuleux.

Une fois devant leur machine, certains y restent des journées entières, négligeant de s’alimenter et même de rentrer pour se doucher. D’autres vont jusqu’à voler dans la petite caisse du bureau ou dans le sac à main ou les poches de leur conjoint. S’isolant de plus en plus, complètement obsédés par le jeu, ils négligent leurs amis, leurs enfants, leur conjoint. Ils manquent leur rendez-vous, s’absentent du travail, tricotent un tissu de plus en plus serré de mensonges pour pouvoir continuer à jouer.

Résultat: dans bien des cas, les proches découvrent l’ampleur du problème lorsque les créanciers frappent à la porte ou que la situation est hors contrôle. Un choc d’autant plus brutal que la dépendance au jeu se développe souvent de façon fulgurante. «À l’époque où il n’y avait que les pokers clandestins et les courses de chevaux, il fallait une moyenne de 14 ans pour que le joueur à risque devienne dépendant. Aujourd’hui avec les appareils vidéo, les loteries et les casinos, cette moyenne n’est que de six mois», explique Claude Boutin, psychologue à la maison Jean-Lapointe.

Le jeu en guise de drogue

Le jeu pathologique n’a été médicalement reconnu qu’en 1980. Le DSM 4, la bible des troubles mentaux, indique qu’il faut un cumul de 5 des 10 critères cliniques répertoriés pour établir un diagnostic de jeu compulsif.

Les critères diagnostiques du jeu pathologique du DSM 4. 

Il s’agit d’une pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu, associée chez un joueur à au moins 5 des manifestations suivantes:

  • Préoccupé par le jeu ou par les moyens de se procurer de l’argent pour jouer.
  • A besoin de jouer avec des sommes d’argent croissantes pour atteindre l’état d’excitation désiré.
  • Fait des efforts répétés mais infructueux pour se contrôler ou arrêter de jouer.
  • Agité ou irritable lors des tentatives de réduction ou d’arrêt.
  • Joue pour échapper aux difficultés ou pour soulager un sentiment d’impuissance, de culpabilité, d’anxiété ou de dépression.
  • Après avoir perdu de l’argent au jeu, retourne jouer pour effacer ses pertes (pour «se refaire»).
  • Ment à sa famille, à son thérapeute ou à d’autres pour dissimuler l’ampleur réelle de ses habitudes de jeu.
  • Commet des actes illégaux tels que falsifications, fraudes, vols ou détournement d’argent pour jouer.
  • Met en danger ou perd une relation affective importante, un emploi ou des possibilités d’étude ou de carrière à cause du jeu.
  • Compte sur les autres pour obtenir de l’argent et se sortir de situations financières désespérées dues au jeu.

«Le jeu devient pathologique lorsqu’il est utilisé en guise d’automédication, explique Louise Nadeau. Les gens qui ne jouent au casino ou aux ALV que pour avoir du plaisir ou pour mettre un peu de piquant dans leur vie font preuve, selon nos données, d’une forte autorégulation, un mot clé en matière de jeu. Ces joueurs fixent une somme à miser et une durée de jeu qu’ils respectent. Ils ne sont pas à risque. Mais ceux qui jouent pour calmer leur angoisse, fuir des émotions ou des situations difficiles dans leur vie verront cette activité devenir rapidement pathologique.» 

Jouer compulsivement, c’est jouer trop d’argent, trop longtemps et trop souvent. Et comme dans le cas de toutes les dépendances, il s’agit d’une perte de contrôle répétée. Le jeu prend toute la place, au détriment des obligations, des responsabilités ou des engagements. 

Autre caractéristique: le joueur compulsif est solitaire. «Les gens qui boivent en groupe boivent davantage, alors que pour le jeu c’est l’inverse, explique Mme Nadeau. Nos études montrent en effet que ceux qui jouent en groupe s’autorégularisent, tandis que les joueurs pathologiques, eux, jouent seuls la plupart du temps. Ils se coupent ainsi davantage de la vraie vie.» 

Nier la réalité

Même s’ils jouent bien souvent à plusieurs jeux de hasard et d’argent, les joueurs pathologiques adoptent habituellement un jeu en particulier, principalement les machines à sous dans les casinos et les appareils de loterie vidéo (ALV) dans les bars. «Les joueurs entretiennent des croyances ou des superstitions qui les confortent dans leur dépendance, explique Claude Boutin. Ils élaborent des théories pour gagner. Par exemple, ils se présentent toujours à la même table de jeu ou adoptent une ALV en particulier, convaincus que leurs «trucs» ou stratégies seront payants sur cet appareil. Bien entendu, cela n’a aucun fondement, mais il suffit d’une fois où cela aura fonctionné par hasard pour que le joueur soit convaincu de l’efficacité de son manège.» 

Le jeu pathologique est la dépendance qui est le plus souvent associée à une autre dépendance ou à un trouble mental. «Les troubles de la personnalité viennent en tête de liste, explique Mme Nadeau. Plus de 33% des joueurs pathologiques ont un trouble de la personnalité caractérisé par une distorsion ou une déconnexion de la réalité.» Fuyant la réalité, les joueurs nient leur dépendance, mais surtout refusent d’en voir les conséquences et leur gravité. «Ils sont toujours convaincus qu’ils peuvent se refaire, raconte M. Boutin. Même en début de thérapie, ils disent: “Si seulement je pouvais gagner le gros lot!”» Mme Nadeau ajoute: «Ils opposent une farouche résistance à la réalité, même s’ils ont tout perdu.» 

Les conséquences du jeu pathologique

Les conséquences du jeu compulsif ne sont pas que financières, rappelle Claude Boutin. «Certains ont emprunté de l’argent qu’ils n’ont jamais remis à des amis ou à de la parenté, brisant ainsi des liens de confiance. D’autres se sont absentés de leur travail qu’ils finissent par perdre, le conjoint et les enfants se retrouvent parfois sans maison et sans meubles, en plus de souffrir de la relation brisée, de l’absence émotive du joueur et de ses mensonges répétés.»

Pour le joueur, c’est également le cercle vicieux de la honte, de la perte d’estime de soi, de l’anxiété et de l’isolement. 

Sans compter que les enfants, le conjoint ou les parents ont souvent honte du problème et des ennuis financiers qui en découlent. Ils finissent, eux aussi, par s’isoler. 

Conjoint et personnes à risque

Que faire si votre conjoint joue? 

  • Tentez de parler avec lui du problème et de l’inciter à consulter. 
  • Adressez-vous rapidement à un conseiller financier pour vous protéger et protéger le mieux possible les biens de la famille. 
  • Ne restez pas seul avec votre problème. Faites appel à la ligne Jeu: aide et référence pour connaître les ressources dans votre région. 

Vous êtes à risque si vous… 

  • Jouez des sommes plus élevées que celles que vous aviez fixées. 
  • Jouez beaucoup plus longtemps que prévu. 
  • Jouez très souvent. 
  • Jouez en solitaire. Pour connaître votre profil de joueur, remplissez le questionnaire sur le site de Jeu: aide et référence.

Les jeunes: vulnérables 

Parce qu’ils sont particulièrement impulsifs, qu’ils mesurent peu les conséquences, qu’ils sont souvent influençables, les jeunes sont parmi les plus vulnérables face au jeu. Voilà pourquoi Loto-Québec conseille aux parents et aux grands-parents de ne pas offrir de billets de loterie en cadeau aux enfants. 

Traitement du jeu pathologique

Le Québec a, selon nos comparaisons, le meilleur programme au monde en matière d’intervention, de soins et de soutien pour les joueurs pathologiques», déclare Louise Nadeau. De fait, Loto-Québec, souvent montrée du doigt à propos de sa responsabilité sociale et sociétale face au jeu pathologique, verse 22 millions annuellement au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Avec ces fonds, le MSSS finance tout le réseau de soins et de soutien aux joueurs compulsifs.

Dans tout le Québec, les soins en cure interne ou externe, groupes de soutien ou consultations sont gratuits. Et, fait important, ils sont également offerts gratuitement aux proches des joueurs. 

Coeur névralgique de ce vaste réseau, la ligne Jeu: aide et référence offre des informations et des références vers les ressources les mieux appropriées à chaque cas, et ce, en tout temps. Plus de 7 000 personnes ont utilisé ce service en 2011-2012. 

Quant au traitement du jeu compulsif, il comporte plusieurs approches. Cures fermées ou non, groupes de soutien comme les Gamblers anonymes, thérapie cognitivo-comportementale individuelle, etc. Certains centres, comme la maison Jean-Lapointe, combinent toutes ces approches. Peut-on s’en sortir? «Oui, répond Claude Boutin. Mais il faut bien sûr considérer le traitement comme un processus qui exigera du temps.» 

Le programme d’autoexclusion des casinos

Même si certains joueurs se déguisent pour contourner l’interdit, le programme d’autoexclusion des casinos est relativement efficace pour les joueurs connus du personnel de ces lieux. Il s’agit d’un engagement volontaire du joueur de s’exclure des salons de jeux et casinos où il ne sera plus admis. Le service est confidentiel et gratuit. 

Pour information: Loto-Québec, Service-conseil à l’autoexclusion, 1 866 915-7627.

Ressources 

Ligne Jeu: aide et référence : Montréal et les environs, 514 527-0140; partout au Québec, 1 800 461-0140 ou 1 866 SOS-JEUX

Gamblers anonymes: Montréal, 514 484-6666 Ailleurs au Québec, 1 866 484-6664 


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