Papi fait de la résistance

 Il m’aurait donné une claque en plein visage que ça n’aurait pas été pire. 


J’ai riposté dare-dare, affirmant qu’il se trompait sûrement, que c’était sans doute un cheveu plus pâle que les autres, faisant d’ailleurs valoir que, enfant, j’étais blond comme les blés. 

Et pourtant, vérification faite, après avoir bien examiné le spécimen, je dus me rendre à l’évidence: c’était bel et bien un cheveu blanc! 

J’avais 33 ans. L’âge où le Christ est mort sur la croix. 

Pour ma part, je venais de mourir un peu, condamné à vieillir et à porter ma croix. 

Moi qui avais cru jusque-là que la vieillesse, c’était pour les autres! 

Le temps a continué à faire son oeuvre maléfique. De brun que j’étais, d’un beau brun tirant sur le chocolat, je suis devenu peu à peu poivre et sel. Et, finalement, plus «sel» que «poivre». Aujourd’hui, plus personne ne pourrait croire en voyant ma tignasse aux reflets d’argent que je fus un jour brun chocolat! 

D’autres signes qui ne trompent pas sont venus s’ajouter. Quelques rides, quelques affaissements ici et là. Quelques plis aussi. 

Il faut assumer. 

J’aurai bientôt 66 ans. Je n’ai rien fait pour en porter les traces, j’ai même fait tout ce qu’il fallait contre. J’ai résisté. Petite crème le soir, une autre le matin que je mêle avec un peu de crème solaire. Ça donne du tonus et de l’éclat. 

Comme vous voyez, je suis assez coquet de ma personne. Puis, histoire de bien vieillir aussi de l’intérieur du corps, je traque et chasse les gras trans et autres poisons, je fais de l’exercice quotidiennement et je bois beaucoup d’eau. Non! Je ne suis pas de ceux qui veulent faire croire que vieillir est chose facile. Vieillir, qu’on le veuille ou non, c’est mourir un peu plus chaque jour, constatant surtout que le temps qui reste rétrécit comme peau de chagrin avec, en plus, la mort au bout. On s’en passerait de celle-là.

 Mais bon, c’est comme ça et tant pis! 

À quand les carrés gris?

Cependant, en se forçant un peu, on peut arriver à faire de ce tant pis» un «tant mieux». Et, même si ce n’est pas toujours drôle, c’est plus agréable que de manger des pissenlits par la racine quand on peut encore parcourir un bon bout de chemin comme ces personnes qui comme Fernand Leduc, mort récemment à 97 ans, produisent et vivent intensément à un âge avancé. «À mourir pour mourir, je choisis l’âge tendre», chantait Barbara. Pas moi! Je souhaite rester en piste le plus longtemps possible. 

Je disais donc 66 ans! Je l’affirme et le revendique. Car s’il m’arrive parfois de regretter mes 20 ans – mais jamais longtemps –, il ne me viendrait pas à l’idée de taire mon âge. Ni d’en d’avoir honte. Ce n’est tout de même pas nous qui avons inventé la formule et décidé que le temps passerait à la vitesse grand V, les mois finissant par faire des années, les années des décennies et ainsi jusqu’au bout de la vie. 

Je ne suis surtout pas du genre à me raconter des histoires, à vouloir m’empêtrer dans les années comme dans une toile d’araignée pour essayer de faire croire que je n’ai pas l’âge que j’ai. Non seulement cela ne changerait rien à l’affaire, mais j’ai l’impression que cela ne ferait que nourrir la bête. 

Et puis dans une société où vieillir n’est pas du tout glamour, où l’on voudrait nous enfermer dans la nostalgie du temps perdu, autre façon de passer à côté de ce que nous sommes, affirmer son âge est quasi un acte politique, une forme d’engagement et de rébellion. Alors je scande haut et fort du haut de mes 66 ans: «À bas les stéréotypes et l’âgisme! À bas le mépris! Et vive l’âge qu’on a!» 

À quand les carrés gris? 

Jean-Louis Gauthier Rédacteur en chef

jean-louis.gauthier@bayardcanada.com

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