Crise alimentaire et investisseurs canadiens

Crise alimentaire et investisseurs canadiens

Par Ronald McKenzie

Crédit photo: iStockphoto.com

En mai dernier, alors que la crise alimentaire frappait des millions de personnes en Afrique, la banque belge KBC a semé la consternation en proposant une assurance vie qui permettait de profiter de la flambée des matières premières agricoles. «Tirez avantage de la hausse du prix des denrées alimentaires!», avait-elle lancé comme slogan. Indignés, de nombreux clients de KBC ont fermé leurs comptes et transféré leur capital vers des institutions concurrentes.

Avant de jeter notre mépris sur cette banque belge, nous devrions regarder d’abord ce qui se passe ici. En effet, depuis mars dernier, la firme torontoise BetaPro Management commercialise deux fonds boursiers négociés sur le parquet de Toronto. Identifiés par les symboles HAU et HAD, ces fonds permettent de spéculer, à partir de votre ordinateur personnel, sur les prix internationaux du maïs, du soja et du blé.

La spéculation aggrave la crise alimentaire

Les fonds HAU et HAD sont les derniers-nés de cette vague de produits financiers exotiques. Le HAU prend de la valeur lorsque le prix des trois denrées est à la hausse, comme c’était le cas au moment de rédiger cet article. Au cours d’une semaine particulièrement favorable en juin, le cours du HAU est passé de 14$ à 18$, une appréciation de plus de 28%.

Au contraire, le fonds HAD mise sur la baisse des prix du maïs, du soja et du blé. Cela signifie que si le cours des denrées diminue, le fonds prend de la valeur quand même! Comment est-ce possible? C’est que le gestionnaire de ce fonds utilise des stratégies de placement sophistiquées qui consistent à vendre à découvert des «contrats à terme» sur les indices céréaliers. S’il vise juste, le HAD enrichira ses investisseurs. Ainsi, durant les 2 dernières semaines d’avril 2008, le cours de ce fonds a profité d’une baisse temporaire du prix des denrées; il a bondi de 21,25$ à 26,75$, une performance de 26%.

«Nos fonds BetaPro peuvent servir à diversifier un portefeuille de placement déjà bien équilibré. Ils sont aussi utilisés par les investisseurs autodidactes qui ont une opinion sur la direction des marchés et qui veulent profiter des fluctuations à la hausse comme à la baisse», dit Howard Atkinson, président de BetaPro Management.

Qui dit vrai?

Sûrement. Mais en spéculant sur le cours des denrées, les petits investisseurs canadiens ne contribuent-ils pas à entretenir la crise alimentaire mondiale? «Je ne le crois pas. Si nous n’avions que le HAU, peut-être que oui, car les investisseurs pousseraient effectivement le prix des denrées à la hausse. Mais l’autre fonds, le HAD, crée l’effet inverse. Il y a donc un équilibre qui se crée. Quand nous avons lancé ces fonds, chacun d’eux disposait du même montant d’argent, soit 20 millions de dollars», note Howard Atkinson.

Cette explication ne convainc pas Olivier Gamache. «Plutôt que de spéculer sur les opportunités, il est beaucoup plus responsable de travailler à chercher des solutions aux besoins des populations que d’essayer de s’enrichir sur les famines éventuelles», affirme le président-directeur général du Groupe Investissement Responsable.

Même son de cloche de la part de la Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec (FPCCQ). «La spéculation est le facteur le plus important qui explique la hausse récente des prix des grains. Jusqu’à 40% des transactions sur les céréales sont effectuées par des parties qui ne sont pas des producteurs», dit Carole Saint-Laurent, agente de recherche et de communication à la FPCCQ. Howard Atkinson rétorque que les investisseurs canadiens qui négocient le HAU et le HAD influent peu sur les prix internationaux du maïs, du soja et du blé. Après tout, 40 millions de dollars ne sont qu’une goutte d’eau dans ce marché évalué à plus de 240 milliards de dollars.

Entre ces deux opinions tranchées, l’agroéconomiste Guy Debailleul introduit des nuances. «Ce n’est pas la spéculation qui a entraîné la hausse des prix. Les spéculateurs se sont intéressés à ce marché parce que les prix des céréales étaient déjà en augmentation», dit le titulaire de la chaire en développement international à l’Université Laval.

La croissance de la population mondiale, les rendements ordinaires des récoltes, la hausse des prix des carburants et des engrais, et la diminution des stocks mondiaux: autant de facteurs qui contribuent à la flambée du cours des céréales. Ces éléments étaient déjà en place avant l’arrivée des spéculateurs. «Leurs activités exacerbent le déséquilibre entre l’offre et la demande. Ils l’aggravent», précise Guy Debailleul.

Carole Saint-Laurent et Guy Debailleul insistent sur un point: ce ne sont pas les contrats à terme sur les prix des denrées qui sont en cause, ici. On utilise ces instruments financiers depuis des lustres pour réguler les marchés. Leur origine remonterait au Moyen Âge! Les contrats à terme sont indispensables aux agriculteurs et aux éleveurs qui veulent protéger financièrement leurs productions contre les fluctuations brutales des prix.

Ce qui est nouveau, c’est l’arrivée de grands groupes financiers qui négocient à répétition des contrats à terme sur les céréales. «Des investisseurs institutionnels ont perdu beaucoup d’argent avec la crise des hypothèques à risque aux États-Unis. Pour compenser leurs pertes, ils se sont tournés vers le commerce des denrées», indique Carole Saint-Laurent.

On s’en doute, ce type d’opération peut être diablement payant. Un seul contrat à terme sur le maïs permet de contrôler 5 000 boisseaux. Or, en quelques jours, le prix d’un boisseau de maïs peut bondir de 2$. Les négociateurs professionnels qui détiennent une centaine de ces contrats et qui décident de les vendre réaliseront un bénéfice substantiel. «Ils empochent les profits sans jamais voir ni toucher la marchandise», constate Carole Saint-Laurent.

Les petits investisseurs canadiens qui achètent et vendent des HAU et des HAD font exactement la même chose, mais à une échelle réduite. «Indirectement, ils participent à la crise alimentaire», conclut Guy Debailleul.

Investissez-vous dans Monsanto?

Investissez-vous dans Monsanto?

En mai dernier, le film documentaire Le Monde selon Monsanto prenait l’affiche au Québec. Sa réalisatrice Marie-Monique Robin montrait que les agissements de la multinationale américaine Monsanto avaient des effets pervers sur le marché agricole mondial: monopole du commerce des semences génétiquement modifiées, distribution tous azimuts de pesticides dangereux pour la santé, falsification de résultats de recherche défavorables, etc.

Médias et groupes de défense des consommateurs n’ont de cesse de dénoncer Monsanto. Le hic, c’est que l’entreprise basée à St. Louis, au Missouri, connaît un succès boursier inespéré. En juillet 2006, le cours des actions de Monsanto se situait dans les 42$US. Deux ans plus tard, le titre se négociait à 122$US. C’est une appréciation de plus de 190% en 24 mois, sans compter le dividende.

Évidemment, les gestionnaires de fonds peuvent difficilement ignorer un tel actif. «Au Canada, quelque 150 fonds communs de placement ont des actions de Monsanto dans leur portefeuille. C’est le fonds Great-West Life Croissance américaine qui a la plus forte participation, avec 8,9% de son actif concentré dans les actions de Monsanto», explique Christian Charest, éditeur adjoint à la firme de recherche Morningstar Canada.
Le tableau ci-dessous, , dresse la liste de 10 autres fonds communs populaires au Québec qui détiennent beaucoup d’actions de Monsanto.

Qui investit dans Monsanto?

Nom du fonds% du fond dans Monsanto
 London Life croissance américaine 8,7
AGF catégorie croissance américaine 6,4
Canada-Vie Génération Croissance américaine 6,4
Groupe Investors AGF croissance États-Unis  6,3
Canada-Vie Américain croissance maximale 4,4
Mackenzie Universal Catégorie croissance États-Unis  4,4
TD Actions canadiennes  3,7
Dynamique Power Catégorie croissance canadienne  3,1
Industrielle Alliance Ultraflex F-R actions globales   2,8
Dynamique Power croissance canadienne   2,7

Vérifiez le contenu de vos fonds

Même si Monsanto a enrichi ses actionnaires au fil des ans, Olivier Gamache n’en est pas un grand admirateur. «La façon dont cette entreprise traite les communautés et les agriculteurs ne la place pas à un rang élevé pour ce qui est de la responsabilité sociale. Quant à la protection de l’environnement, Monsanto fabrique des produits dont la nocivité est reconnue, comme l’herbicide Roundup. Sa note n’est pas haute non plus.»

Vérifiez le contenu de vos fonds

Vous avez l’intention d’acheter des fonds communs pour votre REER cette année? La crise alimentaire mondiale vous interpelle? Avant de conclure la transaction, demandez à votre conseiller de vérifier le contenu des produits qu’il recommande. De plus en plus de représentants respectent la sensibilité de leurs clients aux questions liées à l’éthique et au développement durable. La gamme des fonds socialement responsables commence à être bien étoffée. Il n’y a pas de raison de ne pas avoir accès à l’un d’eux.

Mise à jour: décembre 2008

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