Comment aider ses enfants sans conflit?

Comment aider ses enfants sans conflit?

Par Didier Bert

Crédit photo: iStock Photo

Même quand nos enfants sont déjà entrés dans la vie professionnelle, on peut avoir envie de les aider financièrement, en contribuant par exemple à la mise de fonds pour l’achat de leur résidence ou au lancement de leur entreprise. Les difficultés de la vie (perte d’emploi, maladie, etc.) amènent aussi certains à faire preuve de solidarité avec leur fils ou leur fille. Et plusieurs grands-parents soutiennent les études de leurs petits-enfants. Les motifs pour donner un coup de pouce ne manquent pas... 

Avant toute chose, il faut se demander si on a raison de le faire. L’idée n’est évidemment pas de laisser son enfant se débattre seul avec son problème d’argent, mais simplement de s’assurer qu’un soutien financier est vraiment le meilleur moyen de l’aider.

Tous égaux

Mieux vaut commencer par vérifier qu’on pourrait, le cas échéant, consentir le même effort à ses autres enfants. «Si on donne 50 000 $ à un enfant pour l’achat d’une maison, il faut être en mesure de donner autant à son frère ou à sa sœur, illustre Sylvain B. Tremblay, vice-président Gestion privée chez Optimum Gestion de Placements. Et 100 000 $, ça fait beaucoup d’argent!» Bien sûr, les autres enfants n’ont pas forcément besoin du même montant au même moment. Mais pour respecter l’équité, le spécialiste suggère de «bloquer une somme équivalente pour chaque membre de la fratrie si on donne un montant important à un enfant».

Il faudrait aussi s’interroger sur les conséquences à long terme de ce soutien. Si l’enfant est surendetté et sans perspective de rétablissement financier, le parent devrait-il vraiment sortir de l’argent de son REER? Les économies pour sa retraite risquent d’être englouties définitivement, sans pour autant améliorer la situation financière à long terme de son enfant si ce dernier garde ses habitudes dépensières. «Si l’enfant n’a pas la capacité de rembourser, cela risque de dégénérer», prévient Sylvain B. Tremblay, qui dissuade les parents de décaisser leurs REER et leurs FERR dans pareille situation. Le décaissement obligeant à payer un pourcentage important en impôts, il peut s’avérer moins dispendieux pour tous de laisser l’enfant se débrouiller par lui-même dans ce cas de figure.

Même quand les déboires financiers sont importants, on devrait donc évaluer la situation en mettant ses émotions de côté. «Une de mes clientes a laissé sa fille aller à la faillite, parce qu’elle savait qu’avec son bon emploi, elle réussirait à repartir dans la bonne direction», témoigne le gestionnaire. Cette dame a évité une coûteuse sortie d’argent, et sa fille est repartie de zéro, sans aucune dette envers sa mère.

Prêter avec prudence

Une fois l’aide financière jugée utile, on se pose la question du don ou du prêt. Si on croit à la capacité de remboursement de son enfant, mieux vaut envisager un prêt. Attention: s’il ne parvient pas par la suite à honorer cet engagement, la confiance peut se fissurer au sein de la famille. De plus, un prêt est prescriptible: «Si le remboursement n’est pas réclamé ni complété au bout de trois ans, la dette est prescrite», pointe Me Lucie Boiteau, avocate chez Alepin Gauthier. Un frère ou une sœur pourrait alors le reprocher aux parents et à l’enfant débiteur. Surtout si le soutien financier s’était fait en secret. La tentation est souvent grande de ne pas ébruiter un coup de pouce de ce genre, l’argent demeurant toujours un peu tabou. «Le réflexe sera de dire: "N’en parle pas à ton frère ou à ta sœur!"» constate Me Boiteau. «Au Québec, compte tenu de l’héritage judéo-chrétien, on ne parle pas beaucoup d’argent», confirme Sylvain B. Tremblay.

Les deux experts s’accordent pour dire que le secret finit toujours, tôt ou tard, par être percé. Ce qui provoque au mieux des remous, au pire des déchirements. «J’ai vu des familles exploser, témoigne le gestionnaire. Quand un frère se rend compte que l’autre a été aidé, il se demande pourquoi lui ne l’a pas été. Cela crée des situations ambiguës, et des proches finissent par s’éviter.»

La clé? Communiquer!

Il est difficile d’imaginer que ses enfants se déchireront un jour. Or, une fois les parents disparus, les liens peuvent évoluer au sein d’une fratrie. Des événements surviennent, déséquilibrant les relations. Et les malentendus financiers ne sont pas en reste… «Quand une fratrie se dissout, il faut parfois des années avant de rétablir les relations, met en garde Sylvain B. Tremblay. Des frères et sœurs ne se parlent plus depuis 20 ans pour des niaiseries… Et les problèmes sont toujours liés à l’argent! Ce dernier génère beaucoup d’émotivité.»

Tout don ou prêt devrait donc être clairement formalisé. «La clé, c’est la communication», souligne Me Boiteau. Pour que tous se sentent sur un pied d’égalité, on pourrait organiser une réunion de famille afin d’expliquer pourquoi et comment l’argent sera versé, en précisant par exemple que ce don est fait parce que l’enfant concerné est votre aidant ou qu’il a subi un mauvais coup de la vie. «Si vous documentez bien la réunion, il vous sera plus facile de demander à vos enfants de respecter votre décision.»

Toujours par écrit

Avec ou sans réunion de famille, le prêt ou le don doit être retranscrit sur papier. «Les conflits naissent des doutes, poursuit l’avocate. Avoir une preuve écrite évite les tensions, d’où l’importance de documenter toute aide financière.» Ce document peut prendre la forme d’une convention, ce contrat rédigé devant notaire ou non. Dans le premier cas, le notaire y prévoira toutes les clauses encadrant l’aide financière et réduisant les risques de conflit par la suite. Il n’existe toutefois pas de seuil légal de versement monétaire obligeant à se tourner vers un notaire. «Si le parent veut s’assurer de revoir son argent, mieux vaut rédiger une convention, indique Me Isabelle Martin, notaire à Laval. Mais si ses revenus lui permettent d’accepter l’idée de ne jamais être remboursé, il peut s’en passer.» Mais même dans ce cas, on conserve quelque part une trace écrite de sa volonté, pour limiter les risques de malentendus au moment de la succession.

Sur la convention, on indique s’il s’agit d’un prêt ou d’un don. On précise également si ce versement devra être pris en compte au moment de la succession. La réforme du Code civil a d’ailleurs bouleversé la coutume. Auparavant, un rapport de dettes à la succession était systématiquement effectué. Cet inventaire des dettes entre le défunt et ses proches permettait le recalcul de la part de chacun en tenant compte des dettes accumulées avant le décès. Depuis la réforme du Code civil, ce rapport de dettes n’est plus réalisé par défaut. Pour qu’il soit fait, il faut le mentionner dans une clause du testament. Les prêts se verront alors réintégrés dans la succession, partagée ensuite selon les vœux du défunt. De même, si on veut dispenser la succession du rapport de dettes, mieux vaut le préciser clairement dans son testament, conseille Me Martin. Cette mise par écrit peut être aussi l’occasion d’expliquer pourquoi un des enfants a reçu davantage. «Savoir que ce n’est pas par manque d’amour qu’il a reçu moins, c’est important pour un enfant», commente Me Boiteau.

Se protéger en cas d’inaptitude

Au moment de la succession, si le testament et les documents du défunt ne sont pas clairs, cela laisse place à l’interprétation. Et la succession se retrouvera peut-être alors devant un tribunal. «Un juge entendra les parties et les témoins pour déterminer si l’aide financière était un prêt ou un don, explique Me Boiteau. Il étudiera également le comportement du parent dans le passé: avait-il, par exemple, posé des gestes comparables envers les autres enfants? Le risque est de créer de la chicane là où il n’y aurait pas dû y en avoir.»

Quand le donateur est âgé ou qu’il craint de devenir inapte, le recours au notaire s’avère encore plus nécessaire. Ce dernier vérifiera l’aptitude du donateur. Même quand le donateur est tout à fait valide, l’attester régulièrement devant son notaire limite les risques de situations inconfortables à l’avenir. «Le harcèlement et la violence physique vis-à-vis des aînés, ça existe!» met en garde Sylvain B. Tremblay. Qu’elle vienne d’un enfant ou d’un inconnu ayant pris l’aîné sous sa coupe, cette violence sera plus facilement contrecarrée si le parent a pris l’habitude de communiquer ses décisions d’aide financière à sa famille et à son notaire.

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