Hanche et cataracte: assureurs privés recherchés!

Hanche et cataracte: assureurs privés recherchés!

Par Sylvie Dugas

Crédit photo: iStockphoto.com

Âgé de 77 ans, Yvan Lambert, un citoyen de Laval, a du mal à marcher depuis 1 an et doit prendre des calmants pour se déplacer. Après plusieurs mauvais diagnostics, il a finalement su ce qui le faisait tant souffrir: sa hanche s’est complètement effritée et il doit se faire implanter une prothèse pour pouvoir continuer à marcher. C’est le Dr Nicolas Duval, le fondateur de la seule clinique privée en orthopédie au Canada, qui fera l’opération.

«J’ai été voir le Dr Duval parce que je ne voulais pas me retrouver sur une liste d’attente. Ça fait déjà un an que je n’ai pas joué au golf. Le temps qu’il me reste, je veux le vivre en santé! J’ai travaillé toute ma vie, je ne veux pas la finir en boitant…», s’exclame Yvan Lambert. Pour la somme de 12 000$, il pourra, en l’espace de un mois, passer au bistouri pour recevoir sa nouvelle hanche et bénéficier de services de réadaptation en physiothérapie durant 10 jours. Tous ses déplacements se feront en transport assisté.

La loi 33 modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux, entrée en vigueur le 1er juin 2007, l’aidera-t-elle à payer ces coûts? Absolument pas. Principale retombée concrète du jugement Chaoulli, cette législation a pourtant autorisé les Québécois à souscrire une assurance privée pour les opérations d’arthroplastie-prothèse totale de la hanche ou du genou, de même que l’extraction de la cataracte avec implantation d’une lentille intraoculaire. Mais, en pratique, rien n’a changé.

D’une part, il n’existe actuellement au Québec aucun assureur privé qui fournit des assurances dans ce domaine. D’autre part, le gouvernement garantit aux usagers de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) une intervention dans les six mois suivant le moment de leur inscription sur la liste d’attente. «À l’intérieur de ce délai, même les opérations effectuées dans des cliniques privées non affiliées en province et à l’extérieur du Québec sont remboursées par la RAMQ, incluant les frais de séjour et d’hospitalisation, s’il y a eu une entente préalable entre les institutions concernées», affirme Lauréanne Collin, agente d’information principale à l’Agence de santé et de services sociaux de Montréal (AGESSSM). Cependant, un patient qui décide de ne pas s’inscrire sur la liste d’attente et de contacter lui-même un chirurgien oeuvrant dans une clinique non affiliée devra débourser la totalité des frais encourus.

Cliniques privées à la rescousse

Cliniques privées à la rescousse

Depuis le 1er juin 2007, le gouvernement a mis en place un nouveau logiciel pour gérer les listes d’attente et a formé du personnel à cet effet. Mais le processus a été laborieux en raison des problèmes liés à l’uniformisation des données. «Nous sommes en contact avec les différentes institutions pour répartir l’offre de service selon la demande des listes d’attente», assure Lauréanne Collin.

Les agences régionales peuvent maintenant conclure des ententes avec des cliniques privées pour y faire traiter les patients ne pouvant être opérés dans le système de santé public à l’intérieur des six mois prévus. Ces contrats pour un volume donné d’opérations, comme dans le cas de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal et du Centre médical Rockland MD, feront du secteur privé un participant occasionnel du régime public, pour une durée limitée.

Toutefois, il pourrait y avoir des débordements, même si les agences estiment que ces cas seront exceptionnels. «Si le réseau public faillit à la tâche en n’intervenant pas dans les six mois prévus, les patients pourront aller se faire opérer n’importe où et envoyer ensuite leur facture au gouvernement pour se faire rembourser», précise le Dr Duval.

Selon lui, tous les patients devraient faire une photocopie du document attestant leur inscription sur la liste d’attente. S’ils n’ont pas encore été opérés au bout de quatre mois, ils devraient commencer à chercher une clinique privée pour être sûrs de passer sous le bistouri dès que le délai de six mois sera écoulé. «Généralement, l’agence de la santé et des services sociaux prend entente avec la clinique privée environ deux mois avant l’opération», souligne le Dr Duval. Si le patient refuse la place que lui propose son médecin traitant au système public, son attente risque aussi de se prolonger au-delà des six mois. S’il décide entre-temps de se faire traiter dans une clinique privée, l’opération pourrait bien être à ses frais.

Des assureurs prudents

Des assureurs prudents

Il semble étonnant à première vue que le secteur privé n’ait pas profité de la brèche que lui ouvraient les articles 41 et 42 de loi 33 en matière de soins de santé. Un coup de sonde auprès des assureurs permet de mieux comprendre pourquoi aucun d’eux ne s’est lancé dans la course. La position de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), qui a représenté les assureurs et manufacturiers de produits d’assurance en commission parlementaire, est claire.

«La loi 33 permet des opérations de la hanche, du genou et de la cataracte dans des cliniques privées et non affiliées à la RAMQ, mais seulement dans les cas de débordement du système de liste d’attente, selon les délais prescrits. Cependant, les études de marché effectuées par certains de nos membres ont démontré que le potentiel d’affaires était insuffisant. Les soins assurables sont encore trop spécifiques», note Claude Di Stasio, vice-présidente aux affaires québécoises de l’ACCAP.

De fait, le Canada est l’un des seuls pays industrialisés à interdire les assurances privées pour la couverture de tous les types de soins, y compris ceux dispensés par le réseau public. La France, la Suisse, l’Angleterre, l’Allemagne, les États-Unis, le Mexique, la Suède, la Finlande et le Danemark ont tous ouvert leurs portes aux assurances privées dans le domaine de la santé.

À la Croix Bleue du Québec, un important assureur privé, la création de ces nouveaux produits d’assurance n’est donc pas dans la mire. Cette compagnie vend cependant des régimes d’assurance collective (payés par l’employeur) et des assurances maladie complémentaires individuelles qui prévoient le remboursement de certaines dépenses non couvertes par le régime public. La Financière Sun Life n’envisage pas non plus de se lancer dans les assurances autorisées par la loi 33. «Le jugement n’est pas assez clair. À ma connaissance, ni Manuvie, ni Desjardins, ni Great-West n’ont encore fait le saut», spécifie William Milloy, conseiller en sécurité financière à la Sun Life. La compagnie offre toutefois des assurances pour soins de longue durée, à domicile ou en institution.

Même son de cloche chez Desjardins Sécurité financière. «Il n’y a pas suffisamment de débouchés. À part les trois opérations mentionnées dans la loi 33, nous pouvons seulement offrir des produits complémentaires au régime public, comme les coûts d’hospitalisation non couverts, les soins de longue durée, les maladies graves et d’autres produits dont les régimes collectifs», indique Claude Beauchamp, directeur principal des communications à cette composante du Mouvement Desjardins.

Même après avoir payé toute sa vie pour assurer le maintien du système de santé public, Yvan Lambert n’est pas amer. «Je ne suis pas contre le privé en santé. Comme j’ai l’argent, ça en fera un de moins sur la liste d’attente… C’est vrai que je n’ai pas d’assurance privée. Mais au moins, je pourrai réclamer un crédit d’impôt pour les 12 000$ que coûte l’opération», dit-il. Les personnes moins fortunées, elles, devront peser le pour et le contre de la médecine à deux vitesses sur une liste du gouvernement.

Mise à jour: juillet 2008

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