Le cellulaire: ça change pas le monde, sauf que…

Le cellulaire: ça change pas le monde, sauf que…

Par Maryse Guénette

Crédit photo: iStockphoto.com

Il y a 15 ans, le téléphone cellulaire faisait son apparition. Il devait alors nous procurer liberté, autonomie et efficacité. Aujourd’hui, selon l’Association canadienne des télécommunications sans fil (ACTS), 51 % des ménages québécois ont au moins un téléphone cellulaire. Cet appareil a-t-il tenu ses promesses? Difficile à dire. Mais il a certainement influencé nos comportements!

Partout, tout le temps

Il n’y a pas si longtemps, nous faisions nos appels et en recevions dans un lieu déterminé, au bureau et à la maison, par exemple. Aujourd’hui, nous «placotons» partout: à l’épicerie, dans l’autobus, dans la rue… Conséquences: nous ne savons pas toujours où se trouve la personne avec qui nous parlons, et il y a fort à parier qu’elle n’est pas totalement attentive. «Nous vivons à la vitesse grand V, souligne Pierre Doray, professeur au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie. Si nous avons un problème, nous appelons tout de suite. Nous voulons que les choses se règlent dans l’immédiat, sans délai.»

On est devenu familier avec ce rythme et pour ne pas perdre de temps, on a pris l’habitude de converser au téléphone tout en vaquant à ses occupations. Mais cela ne convient pas à tout le monde… «Les gens n’ont pas tous la même facilité à se dédoubler, à faire deux choses en même temps, explique Éveline Marcil, psychologue et consultante en entreprise. Et puis, il faut parfois s’arrêter, prendre le temps de réfléchir. Et cela, nous ne le faisons pas beaucoup…»

Seul et avec d’autres

Utiliser un téléphone cellulaire alors que nous ne sommes pas seul, c’est laisser tomber les personnes qui nous entourent pour communiquer avec des personnes qui se trouvent ailleurs. Le phénomène est courant et amène Martin Soucy, psychologue, à considérer le téléphone cellulaire comme un instrument qui isole plus qu’il ne rassemble. «Nous disons souvent que le téléphone cellulaire est un outil de communication. Mais en réalité, les gens communiquent de moins en moins…», déplore-t-il.

Pour illustrer son propos, Martin Soucy évoque l’image de deux personnes attablées au restaurant, ayant chacune une conversation à leur téléphone cellulaire. «Quand je vois cela, j’ai toujours le goût de demander à ces deux personnes si elles se parlent au téléphone!», ironise-t-il. Selon Éveline Marcil, il est possible que les gens agissent ainsi pour gagner du temps. Mais il est aussi possible qu’ils le fassent pour combler un vide ou parce que leurs intérêts sont ailleurs. «Si nous nous libérons pendant une certaine période de temps pour être avec quelqu’un, il serait normal que nous lui consacrions tout notre temps, fait-elle remarquer. Si nous ne le faisons pas, c’est peut-être que nous fuyons quelque chose…»

Répondra, répondra pas

Dans un clan

Nous utilisons le téléphone cellulaire dans le cadre de notre travail, et pour rester en lien avec nos proches. Les jeunes, eux, s’en servent pour parler à leurs amis, avec lesquels ils peuvent établir un contact quasi-permanent. «Les adolescents ont besoin d’agir ainsi, dit Éveline Marcil. Pour eux, le téléphone cellulaire est presque un outil magique.» Il est pour ainsi dire le prolongement naturel de leur main! La psychologue ajoute que, dans certains cas, le fait d’avoir un téléphone cellulaire signifie que l’on a des amis. Et ne pas en avoir, que l’on est seul…

Dans le cadre d’une recherche réalisée à l’Université de Montréal, André Caron, directeur du Centre de recherche interdisciplinaire sur les technologies émergentes, a enregistré toutes les conversations téléphoniques d’un certain nombre d’adolescents durant trois semaines. «Au début, nous avions l’impression que leurs propos étaient relativement vides de sens, dit-il. Puis, nous avons réalisé que les jeunes ne se parlaient pas pour échanger de l’information, mais plutôt pour affirmer leur appartenance à un groupe, pour se rassurer.» Selon André Caron, les adultes aussi ont ce genre de conversation.

Devant témoins

Certains sont tellement pris par leur conversation téléphonique qu’ils oublient qu’on peut les entendre. «Lorsqu’ils ont des conversations vraiment privées, ça fait un peu bizarre», soutient Éveline Marcil. Martin Courcy, psychologue, appelle ce phénomène l’élargissement de l’espace intime. «Les jeunes, qui n’ont pas connu les cabines téléphoniques, ont en quelque sorte moins de pudeur», dit-il. Les entendre peut être difficile. «Cela peut brusquer nos habitudes, remarque André Caron. Nous n’avons pas toujours le goût de savoir ce que les autres ont à dire!» Dans d’autres cas, cela peut créer des conflits. «Il y a toujours le danger que quelqu’un saisisse une bribe de conversation hors contexte et qu’il l’interprète mal…», dit Éveline Marcil.
 
Heureusement, certaines règles sociales sont en train de s’instaurer. «Il n’y a pas si longtemps, au cinéma, dans les salles de concert, on pouvait entendre des téléphones sonner. Maintenant, ce phénomène s’est estompé: les gens sont en train d’apprendre comment se comporter avec leur appareil», se réjouit André Caron. Fait intéressant: sur le site Internet de l’ACTS, on trouve un petit guide traitant de l’étiquette à adopter lorsqu’on utilise un téléphone cellulaire. Et dans certains pays d’Europe, il y a des endroits où les téléphones cellulaires sont interdits.

Répondra, répondra pas

Si nous parlons si souvent au téléphone cellulaire, c’est notamment parce que nous nous sentons obligé de répondre à tous les appels que nous recevons, de peur de nous le faire reprocher. «Lorsque nous appelons quelqu’un chez lui, nous concevons qu’il puisse être absent, explique Éveline Marcil. Mais lorsque nous tentons de le joindre sur son téléphone cellulaire, nous nous attendons à ce qu’il réponde.» Cela met une pression sur les utilisateurs.

Et cette pression est encore plus grande quand c’est l’employeur qui paie la facture! Il n’est pas rare, en effet, qu’un employeur fournisse un téléphone cellulaire à son employé, s’attendant en retour à une grande disponibilité. «Voilà un échange bien insidieux !», s’exclame André Caron. Comment réagir? En mettant ses limites, même si cela n’est pas facile. «Par exemple, il faut mentionner à son patron qu’à tel ou tel moment, on ne veut pas être dérangé. On en discute avec lui», suggère Éveline Marcil.

De la sécurité à la surveillance

De la sécurité à la surveillance

Évidemment, le téléphone cellulaire crée un sentiment de sécurité chez les utilisateurs. On aime bien l’avoir dans la voiture en cas de panne, les femmes le tiennent dans leur main lorsqu’elles doivent se déplacer tard le soir, les parents en achètent à leurs enfants afin de pouvoir les joindre partout. «Le cellulaire crée un sentiment de sécurité, soutient Pierre Doray. Mais il faut se demander si ce n’est pas un faux sentiment de sécurité: ce n’est pas parce qu’on a un téléphone cellulaire qu’on est nécessairement en sécurité!» Selon lui, le cellulaire est aussi… une laisse, qui risque d’être utilisée de manière abusive. De là à penser que le téléphone cellulaire pourrait être utilisé à des fins de surveillance, il n’y a qu’un pas. «Nous avons toute la technologie pour cela, dit André Caron. Mais je ne crois pas que les consommateurs l’accepteraient…»

En contrôle

Vous êtes régulièrement dérangé par les appels provenant de votre téléphone cellulaire? Pourquoi ne pas prendre les mesures qui s’imposent afin d’arrêter ce tourbillon? C’est faisable. «Les technologies permettent un nouveau comportement, explique André Caron, mais elles ne l’imposent pas. C’est toujours l’utilisateur qui a le dernier mot.»

Comment s’y prendre? En acceptant de ne pas être toujours disponible – tous les appels ne sont pas urgents – et en trouvant une manière de gérer ses appels. André Caron, pour sa part, y parvient très bien, car s’il a un téléphone cellulaire, il a choisi de ne pas donner son numéro. «J’ai décidé de ne pas être disponible à tout moment, pour tout le monde», dit-il. Et il n’est pas le seul! «Les gens commencent à adopter des stratégies qui leur permettent de ne pas être dérangé en tout temps», affirme Éveline Marcil. Les jeunes adultes sont de ceux-là. «Si les adolescents sont séduits par les téléphones cellulaires, les jeunes adultes dans la vingtaine, pour leur part, commencent à les trouver envahissants», dit-elle. Espérons que tous les utilisateurs de cellulaires en viendront à dompter le monstre…

Mise à jour: août 2008

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