Des aînés qui bloguent

Des aînés qui bloguent

Par François Gloutnay

Crédit photo: istockphoto.com

Jules Beaulac, 74 ans, Raymond Bornais, 71 ans, et Claude Jasmin, 77 ans, pourraient ajouter un nouveau titre sur leur carte professionnelle. L'appellation «blogueur» ou «carnetier» leur conviendrait bien car chacun consacre quelques heures par semaine, sinon par jour, à l'animation d'un blogue.

Blogue personnel, carnet Web ou cybercarnet, c'est le nom que l'on accole à ces pages sur Internet créées par des individus qui y déposent régulièrement des billets d'humeur, des informations et des photographies. Ces éléments, tous les internautes peuvent ensuite les lire, les voir et surtout les commenter. En fait, il s'agit d'un journal intime dans lequel on jette ses idées ou réflexions mais qui, dans la blogosphère, ne sera ni cadenassé ni dérobé à la vue des proches ou des inconnus.

Claude Jasmin
Écrivain connu et prolifique, Claude Jasmin aura exercé bien des métiers. Acteur, marionnettiste, critique d'art, chroniqueur de radio et de télé et aquarelliste, le célèbre auteur de La petite patrie et de Pleure pas, Germaine anime, depuis les débuts du nouveau siècle, un blogue nommé aujourd'hui Poing comme net. En l'an 2000, il insère dans ces pages quelques textes, mais à partir de 2001, les billets se succèdent, souvent quotidiennement.

Pamphlétaire, Jasmin ne rate pas l'occasion d'écrire ce qu'il pense, par exemple, du bilinguisme, de la littérature québécoise ou des soubresauts de l'actualité. Mais le polémiste est aussi un grand-père qui raconte avec plaisir les bons coups de ses petits-fils que l'on voit grandir au fil des années.

Ses discussions avec d'anciens collègues de Radio-Canada, ses souvenirs de jeunesse, le décès de personnalités (Pierre Bourgault, Jacques Hébert) mais aussi le départ d'amis d'enfance ou de collège, font l'objet de billets quotidiens, souvent émouvants, toujours francs et directs. Et cette nature qu'il contemple aujourd'hui de la fenêtre de sa maison des Laurentides, il la décrira, demain peut-être, à ses lecteurs et lectrices virtuels.

Lecteurs qui sont nombreux, faut-il mentionner. Seulement en 2007, ce blogue aura reçu 350 000 visiteurs uniques, indique Marc Barrière, responsable technique et gendre de Claude Jasmin.

Une paroisse virtuelle

Jules Beaulac
Depuis 1998, beaucoup de gens visitent le blogue de Jules Beaulac. Environ 550 000, note le carnetier, qui reconnaît qu'au début de cette aventure, il était plutôt ignorant côté nouvelles technologies. Une note ici: en 1998, le terme «blogue» n'était même pas encore utilisé. Mais cela n'a pas empêché Beaulac de déposer quotidiennement dans des pages Web qu'il a lui-même créées ses réflexions et commentaires sur le quotidien, l'actualité, les derniers livres qui l'auront intéressé et les récents films vus au cinéma. Un blogue, quoi, mais avant l’heure.

Auteur et conférencier, Jules Beaulac est aussi un prêtre qui a toujours aimé être au milieu des gens. Mais il y a douze ans, un infarctus entraîne une décision sans appel de son médecin: la prédication, c'est terminé! «Si je ne suis plus capable d’aller voir les gens, je vais dorénavant les rencontrer par Internet», décide-t-il.

Depuis, chaque semaine, il rédige une homélie sur les textes qui sont lus le dimanche à l'église. Le blogue, c'est «ma paroisse virtuelle». Il atteint ainsi des gens de partout, du Québec, du Canada et de toute la francophonie. «Sans ce moyen, jamais je n'aurais pu les joindre, c'est certain».

Quotidiennement, il commente l'actualité, mais en insistant sur des valeurs qui lui sont chères, comme la fraternité, la solidarité envers les plus pauvres et l'amour du prochain. «Je ne peux quand même pas faire abstraction de mon vécu», commente celui qui reçoit chaque année des courriels en provenance de pas moins de mille correspondants différents. «Je répond à chaque message, insiste-t-il. C'est une question de respect envers les personnes». 

Un blog pour les aînés

Raymond Bornais
C'est en décembre 2006 que Raymond Bornais, récréologue et administrateur retraité mais surtout bénévole engagé, décide de passer à l'action. Il trouve que les aînés sont trop timides, prompts à critiquer en privé mais soudainement muets lors d'assemblées publiques. Un site Web sur la condition des aînés, voilà ce qu'il se propose de lancer. Il veut offrir «une occasion de prise de parole et d’intervention». Parce qu'un blogue permet «d’exprimer ses opinions sans demander la permission à personne», cet outil sera naturellement privilégié.

Un an plus tard, Bornais se réjouit de ce qu'il a pu accomplir. «J’adore cette expérience qui nécessite une certaine régularité, un sens de l’adaptation à l’évolution rapide de la technologie et une volonté d’exercer une liberté contrôlée de son droit de parole. Elle m'offre également une occasion régulière de jouer avec les mots, de dire à haute voix ce que d’autres pensent tout bas, d’interpeller les aînés, de parler du vieillissement et, heureusement, de rencontrer des gens charmants.»

Un souhait pour sa deuxième année dans la blogosphère? Attirer plus de visiteurs certes, mais surtout accueillir des internautes qui voudront bien laisser leurs commentaires et débattre de certains thèmes chers aux aînés. «Je reçois beaucoup de courrier personnel et un bon nombre d’appels téléphoniques. Mais il est rare que les gens osent écrire publiquement leurs opinions», déplore-t-il. «D’autres blogues sont plus agressifs, mais ce n’est pas vraiment mon style».

Des conseils pour les aînés qui voudraient lancer leur propre blogue? Il faut d'abord «se familiariser avec toutes ces technologies, ce qui demande de la patience». Mais surtout, il faut «avoir le goût d’écrire».

mise à jour le 2008-03-11

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