Marc Hervieux: la nostalgie heureuse

Marc Hervieux: la nostalgie heureuse

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Courtoisie Marc Hervieux

La pandémie a vidé son agenda? Qu’à cela ne tienne, notre ténor national en a profité pour accoucher d’un livre bien nommé, Bon vivant!, qui conjugue joliment souvenirs, recettes et musique, ainsi que d’un 10e album, Nostalgia, émaillé de chansons ayant marqué son enfance. Entretien avec un joyeux hyperactif. 


S’il y a une bonne raison de dire merci à la pandémie, c’est que, sans elle, on n’aurait pas pu dévorer votre magnifique ouvrage Bon vivant! avant un bout de temps, n’est-ce pas? Effectivement. J’aurais sans doute encore attribué la faute à mon horaire bien rempli, mais je me suis rendu compte que je repoussais le moment de m’y mettre, peut-être davantage parce que j’avais peur. Je n’avais jamais écrit de livre auparavant, j’ignorais par où commencer. Remplir 225 pages m’apparaissait comme une montagne et, au bout du compte, on a dû couper environ 40 % de ce que j’avais produit! Alors, oui, la pandémie m’a donné le temps, et même l’envie de continuer l’exercice. En ce début d’année qui n’a pas démarré sur les chapeaux de roues professionnellement parlant, puisque deux opéras que je devais chanter sont reportés, je risque donc de m’installer à mon bureau, devant mon beau paysage des Laurentides, et de rédiger la suite. 


Vous vous êtes plongé dans vos souvenirs pour Bon vivant!, mais aussi pour votre album Nostalgia, où vous reprenez des chansons que vos parents écoutaient. Un exercice réjouissant ou douloureux? Je n’ai pas la nostalgie triste, mais heureuse. Je suis extrêmement nostalgique, et plus je vieillis, plus ça prend de la place. Il n’y a pas beaucoup d’histoires tristes dans mon parcours, et ça ne m’interpelle pas de les écrire. Tout s’est donc déroulé dans le plaisir!

 

Enfant, vous chantiez à la résidence pour personnes âgées de votre grand-mère Rosa. Étiez-vous conscient, déjà, de l’effet de votre voix sur les autres? Je pense que ça me faisait un plaisir immense de chanter et, en tant que petit garçon, d’avoir toute l’attention! Chez les scouts, je chantais aussi autour du feu de camp, j’en prenais le contrôle. J’étais conscient que j’avais une voix particulière, très forte, et j’aimais la musique, jouer au théâtre. Je voulais faire partie de plein d’affaires, comme d’une chorale, mais on me disait que ça ne marcherait pas parce que je chantais trop fort et qu’on n’allait entendre que moi. (rires) J’ai eu la chance d’avoir ce cadeau de la vie et, ensuite, de pouvoir le travailler. 


Ce n’est qu’après le décès de votre père que vous vous êtes donné la permission de vivre officiellement votre passion pour le chant, qu’il n’imaginait pas déboucher sur un vrai métier. Pourquoi? J’ai été élevé dans le respect envers les autres et je ne me serais pas vu défier mon père. Il était un bon vivant, c’est de lui que je tiens ce côté-là. Mais c’était une autre époque… En même temps, on avait une complicité, il ne plantait pas un clou sans m’attendre. Peut-être que, s’il n’était pas décédé et que mon envie de faire carrière dans le chant était devenue plus forte, je me serais affirmé. Mais mon entreprise de graphisme fonctionnait tellement bien que j’aurais peut-être continué... Seul le destin aurait pu nous le dire. Toutefois, je ne regrette aucune des décisions que j’ai prises dans ma vie. 


Dans votre livre, vous partagez plusieurs recettes de votre enfance, des plats que nos mères ou grands-mères nous ont préparés, chacune avec sa petite touche. Votre grand-mère, par exemple, mettait du maïs lessivé dans sa soupe aux pois? Oui. (rires) J’avais à cœur de publier les recettes originales, et ma sœur Julie m’a beaucoup aidé dans ce processus, pour que ça goûte exactement comme dans notre enfance. On a tellement ri quand on a réalisé que la soupe aux pois de mémère Rosa contenait du maïs lessivé! On a réussi à en trouver, même si ça n’a pas été simple. C’était un ingrédient à la mode à l’époque, mais qui a disparu depuis. Bien sûr, on peut aussi mettre du simple maïs en grains.

 

Il y a également votre ragoût de boulettes au poulet effiloché, parce que votre père avait peur de devenir paralysé en mangeant du porc! (rires) En fait, avec mon père, on ne savait jamais si c’était sérieux ou pas, parce qu’il poussait tellement ses blagues qu’il était ensuite obligé de vivre avec. Un de ses amis à l’usine était devenu paralysé, et mon père disait que c’était parce qu’il avait mangé du porc tard le soir, chose qu’il ne fallait absolument pas faire, surtout pas accompagné de «crème à glace»! Il s’inventait des histoires qui nous faisaient rire, et on continuait en quelque sorte à le croire. Mais il est vrai qu’on préparait le ragoût comme ça dans ma famille. Ma compréhension, aujourd’hui, c’est que c’était plus simple de faire bouillir un poulet que de faire mijoter et d’effilocher des pattes de porc. Une dame m’a écrit récemment pour me dire que j’avais rendu elle et sa famille très heureuses, car, ayant épousé un musulman, elle regrettait de ne pas pouvoir lui faire goûter ce plat traditionnel québécois. Chose qu’elle peut maintenant faire avec ma recette, au grand bonheur de son mari. Si ma grand-mère était encore vivante, elle serait bien contente de savoir ça!

 

Avez-vous ce désir de transmettre vos meilleures recettes à vos trois filles? J’ai toujours eu le goût, et je m’en sens même la responsabilité, de tout transmettre aux générations futures. C’est un devoir, la transmission. De la mémoire culinaire, musicale, familiale, des traditions. Ça ne veut pas dire qu’on se servira de ce legs tous les jours, mais il teintera certainement notre avenir. Je répète toujours qu’il vaut mieux savoir d’où on vient pour savoir où on va. 


La pandémie a d’ailleurs mis en lumière la façon dont on traite les personnes âgées et dévalue leur savoir… Moi, ça fait longtemps que ça me choque. Mon public est du bel âge. Je jase avec ces gens-là et ils me fascinent, j’adore ce qu’ils me racontent. Dans certaines critiques de mes spectacles, il est arrivé que le journaliste écrive qu’il avait fait baisser la moyenne d’âge de la salle. Comme si c’était péjoratif ou qu’il s’agissait d’un public moins intéressant! Ça me met bleu marin! Je ne comprends pas cette façon de penser. 


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Quelles valeurs tenez-vous à transmettre à vos filles? Le respect et l’ouverture sur le monde, les autres, les différences, les choix de chacun. Je peux donner mon avis et suggérer, mais jamais imposer des choix. Mon aînée est en train de changer de domaine d’études, et je serais bien mal placé pour lui dire que c’est une mauvaise chose. Je suis là pour soutenir mes filles. L’important, c’est qu’elles fassent ce qu’elles aiment et s’accomplissent. J’ai eu la chance de faire ça toute ma vie.

 

Vous avez eu 51 ans cette année. Est-ce que vous la redoutiez, la cinquantaine? Zéro! Je dis à tout le monde que, quand j’ai eu 50 ans, j’ai eu l’impression de finir le premier 50 de ma vie et de repartir pour un autre 50 ans! Je me sens jeune, en forme, motivé, heureux, épanoui. S’il y avait un gros X par terre, j’aurais les pieds joints en plein centre. 


Quand on perd son père jeune, est-ce que ça change le regard qu’on porte sur le fait de vieillir et sur ce qu’on veut faire avant de mourir? Je n’ai pas ce genre de pensées. Autant j’ai un horaire de fou rempli d’avance, autant je le regarde une semaine à la fois, et c’est la même chose dans ma vie. Je traverse la rivière une fois rendu au pont.

 

Avez-vous des projets pour 2021? Oh oui! C’est flyé, parce que j’étais en tournée avec l’opéra Nelligan, du TNM, juste avant que tout s’arrête pour le confinement. Avec l’équipe, à Québec, on s’est quittés en se disant: «Bonne nuit, à demain!» Et finalement, le lendemain est arrivé 10 mois plus tard, lorsqu’on s’est enfin retrouvés pour mettre l’opéra sur disque [NDLR: à paraître l’automne prochain]. J’avais des projets à plus long terme, mais j’ai décidé de les devancer et de revenir en studio, comme il y a plein de musiciens sans emploi actuellement. Je prépare donc un album de musique classique sicilienne… et Nostalgia 2. Bref, ça bouillonne!

 

En rafale

Ce qui vous rend heureux Ma famille.

Ce qui vous enrage L’incompétence, et surtout les incompétents qui reportent la faute sur quelqu’un ou quelque chose d’autre. Je dis toujours à mes filles qu’il faut reconnaître ce qu’on est capable et incapable de faire, avec humilité.  

Ce qui vous émeut Plus je vieillis, plus je suis émotif. La bonté humaine, voir mes filles grandir, avoir une conversation d’adulte avec elles, le partage, la force de l’être humain, surtout présentement. 

Ce qu’on ignore de vous Je suis pas mal un grand livre ouvert… 

Ce que vos amis vous reprochent Mon horaire! Je suis celui qui arrive souvent à un party en fin de soirée ou qui ne peut y assister. Je ne suis pas workaholic, car j’aime m’arrêter, mais je suis hyperactif, alors j’ai toujours des projets. 

Ce que vous n’oublierez jamais D’où je viens. 

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