Guylaine Tanguay: droit devant

Guylaine Tanguay: droit devant

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Laurence Labat

L’étoile du country québécois fait partie d’une espèce rare: celle des gens éminemment authentiques, généreux, résilients, doués, sans prétention, et qui font fi des faux-semblants. Pas étonnant que la cote d’amour de Guylaine Tanguay soit si élevée! 

À 6 ans, vous affirmiez que vous deviendriez chanteuse, et à 8 ans, vous montiez pour la première fois sur scène dans un bar après avoir obtenu une permission spéciale. Une enfance pas ordinaire… Ça non! Mais ce qui est drôle, c’est que moi, je pensais qu’elle l’était. Quand j’étais petite, je pensais que tout le monde pouvait chanter. En vieillissant, je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas. Je n’ai jamais voulu faire carrière dans ce domaine pour passer à la télé ou gagner des trophées; j’aime viscéralement chanter. 

Dans votre autobiographie La ligne droite, vous racontez ce que votre père alcoolique, manipulateur et joueur compulsif vous a fait vivre. Il a notamment menacé de se suicider devant vous. Comment tout cela a-t-il façonné la femme que vous êtes devenue? Je savais que les pères n’étaient pas tous comme le mien, mais je ne me comparais pas et, surtout, je n’en parlais pas. J’avais un peu honte et j’essayais de protéger mon père. C’est en vieillissant que j’ai réalisé qu’il n’avait pas été là pour moi, qu’il ne m’avait pas soutenue, aidée, encouragée, défendue. Il le faisait peut-être avec ses amis, qui me disaient qu’il parlait toujours de moi comme de la meilleure chanteuse. Mais, enfant, je n’en ai eu aucune manifestation.

Tout ce que faisait mon père me stressait. S’il venait me reconduire chez une amie, il roulait trop vite pour me faire peur. Tous ses gestes avaient pour but de me faire sentir coupable qu’il me rende service. Alors, je me défendais toute seule, je défendais mes frères, ma mère et même mon père. C’est peut-être pour ça que je suis assez stricte aujourd’hui: je n’ai jamais eu le temps de rêvasser. J’aurais pu m’apitoyer sur mon sort, mais ce n’est pas dans ma nature. Je tire aussi ma force des Tanguay, les sœurs de mon père, qui sont des femmes solides. Et j’ai eu un modèle extraordinaire: ma grand-mère maternelle, Simone, chez qui je passais beaucoup de temps. Un ange sur deux pattes, qui adoucissait les difficultés que je vivais.  

En avez-vous voulu à votre mère de l’avoir choisi, lui? Oui, j’étais fâchée, non pas qu’elle l’ait choisi, mais qu’elle le laisse faire, qu’elle lui donne la permission d’être méchant. J’aurais aimé qu’elle lui dise de partir. C’est moi qui ai dû prendre cette charge-là sur mes épaules. Et c’est pour ça que mon père était beaucoup plus dur avec moi qu’avec ma mère. Je prenais les décisions, ma mère n’avait plus la force ni le courage de le faire. À la fête d’anniversaire pour mes 40 ans, elle a lu une lettre devant tous les invités dans laquelle elle disait: «J’ai l’impression de fêter une amie, ma sœur, mais pas ma fille, parce que je n’ai pas encore été la mère de cette fille-là.» Elle le sait que c’est moi qui étais le parent. Entre nous deux, il n’y a absolument rien de négatif qui traîne sous le tapis. Je sais qu’elle a fait ce qu’elle pouvait. C’était une autre époque aussi, marquée par la religion. Je me souviens très bien du curé qui lui répétait: «Vous êtes mariée, pour le meilleur et pour le pire.» Même ma grand-mère le lui disait. Ce n’était pas simple de s’en aller! Elle n’avait pas beaucoup de moyens, on était dans un petit village, elle avait peur du jugement. 

Écrire ce livre vous a-t-il permis de panser des blessures, de fermer la porte sur certains épisodes? De fermer des portes, oui, car celle-là était encore entrouverte. Durant toute mon enfance, on a caché et réparé ce qu’on pouvait, au propre comme au figuré. Mais ce qui est cassé reste fragile et peut briser de nouveau. C’est pour ça que j’ai décidé d’en parler. J’ai demandé la permission à ma mère et à mes deux frères avant. Ils étaient plus jeunes que moi et n’ont pas eu la même conscience des agissements de notre père. En quelque sorte, j’en suis fière, parce que ça veut dire que je les ai bien protégés. 

Vous avez trouvé la force de lui pardonner avant qu’il décède… Je ne suis pas capable de vivre avec des choses pas réglées ni de faire semblant. Je lui pardonnais au fur et à mesure, pas juste pour les apparences; c’était profond et intense. Des fois, ça faisait vraiment mal, mais il fallait que je le fasse pour être capable de vivre heureuse. J’aurais aimé qu’on en parle plus, parce qu’il est mort subitement d’un accident. Je pense qu’il était profondément malheureux et on ne pouvait rien changer à ça. 

Un succès tardif

Vous avez déjà dit que vous aviez connu le succès en même temps que la ménopause. Aujourd’hui, à 46 ans, comment voyez-vous l’avenir? Je le vois comme j’ai toujours imaginé ma vie: si les choses ne sont pas faites pour toi, elles ne vont pas se produire. Si le succès n’est pas arrivé avant, c’est parce que je n’étais pas prête à le recevoir. Je ne voulais pas que mes filles aillent à la garderie. Plus tard, je voulais être là pour leur dîner, faire du bénévolat à leur école. J’aurais été la plus malheureuse des mères si j’avais eu mon mode de vie actuel à l’époque! Aujourd’hui, nos filles sont grandes: Marilyn [née d’une union précédente] a 25 ans, Mary-Pier [que Guylaine a eue avec son conjoint actuel, Carl], 18 ans, et Mélissa [née d’une précédente union de Carl], 18 ans aussi. Je ne me sens pas coupable de ne pas souvent être à la maison et je peux profiter de tout ce qui m’arrive, comme je l’avais souhaité.

Vous avez bûché fort pour réussir. N’avez-vous jamais été amère face aux radios et autres médias qui vous ignoraient alors que vous vendiez des milliers de disques? Non, c’est l’inverse! Quand ça ne fonctionne pas, je m’organise pour que ça marche, car j’ai la tête dure! Si la radio, la télé et les journaux ne voulaient pas de moi, alors c’était à moi de trouver un point d’intérêt au-delà de la musique. Parce que la mienne, elle ne jouera jamais sur les ondes des grandes stations, elle ne correspond pas aux formats.

À mon premier passage à Tout le monde en parle, en 2016, j’avais dit à mon équipe: «Je ne veux pas de meeting pour me préparer, laissez-moi faire l’entrevue à ma façon.» Il n’est pas question que je me transforme pour qu’on m’aime. Résultat: plein de gens sont venus me voir après mes spectacles pour me confier qu’ils n’étaient pas amateurs de country, mais qu’ils avaient aimé la personne qu’ils avaient vue à la télé, acheté mes CD, puis des billets. Depuis, je me fais demander des entrevues par des stations de radio qui ne jouent même pas ma musique! Mon pari a donc fonctionné: pour me vendre, je reste moi-même et je bâtis autre chose autour de la chanteuse. J’ai animé Signé Guylaine Tanguay à MAtv, le balado Ma vie country à QUB Radio, j’ai écrit un livre et donné quelques conférences sur la fibromyalgie, dont je suis atteinte. J’ouvre des horizons. 

Pourquoi le country est-il une musique si rassembleuse mais néanmoins snobée? D’abord, il n’y a pas de honte à le dire, cette musique vient davantage des régions. On y entend beaucoup de country dans les radios locales, les gens en écoutent et viennent voir nos spectacles en grand nombre. Mais le show-business est mené par Montréal. Les grands décideurs des radios s’y trouvent et on ne présente pas beaucoup de spectacles country en ville. L’offre est aussi plus limitée à l’extérieur des grands centres, il n’y a pas de concerts gratuits à tous les coins de rue en été. Les gens seront au rendez-vous tant que les artistes se déplaceront pour eux et créeront des liens avec eux. Et c’est un public merveilleux, attentif, qui ne passe pas sa soirée sur son cellulaire.

La famille avant tout

Vous êtes tombée enceinte de votre première fille à 20 ans. C’était important pour vous de fonder une famille? J’ai toujours aimé les enfants et jouer avec eux. Pour moi, la question ne se posait même pas. J’ai eu Marilyn très jeune, mais ce n’était pas un accident. Quand je me suis séparée de mon premier conjoint et que j’ai essayé de devenir enceinte avec Carl, j’ai d’abord fait une fausse couche. Ça m’a fait réaliser qu’avoir des enfants, c’est bel et bien un privilège. 

Quelles valeurs transmettez-vous à vos filles? Le respect et l’ouverture. Je n’aime pas les gens qui jugent et qui sont fermés. Ça empêche d’avancer et ça nuit à la société. Avant de juger, allez parler aux gens, informez-vous de qui ils sont. Vous comprendrez peut-être mieux leurs réactions et agissements. Quand les gens me disent: «Vous avez de bonnes filles, elles sont travaillantes, honnêtes, respectueuses, fiables», c’est le plus beau des trophées à mes yeux. 

Vous êtes mariée depuis 16 ans et vous travaillez avec votre mari, qui est aussi votre gérant. Quel est le secret de la réussite de votre couple? Tout simple: trouver la bonne personne. C’est cliché à dire, mais quand tu la trouves, bats-toi pour être avec elle, parce que ça ne passe pas deux fois dans une vie. Lorsque j’ai rencontré Carl, je ne savais pas qu’il était l’homme de ma vie. J’ai allumé quand j’ai constaté que j’étais toujours bien avec lui. Je me suis donné la permission d’être heureuse, de choisir ma vie, et je me suis séparée de mon conjoint. Ce n’est pas une décision qu’on prend à la légère – c’est dur pour les enfants, les ex –, mais c’est la meilleure que j’ai prise, parce que depuis, ma vie n’a jamais été aussi facile. Entre nous, pas besoin de longues explications, personne n’oblige l’autre à se conformer à une image préconçue. En plus, c’est un père extraordinaire. Il est pour nos filles le père que j’ai toujours rêvé d’avoir. 

Craignez-vous parfois de devoir ralentir votre carrière à cause de la fibromyalgie? Je m’organise pour ne pas la laisser prendre le dessus. Avec cette maladie, moins tu bouges, pire c’est. J’ai parfois du mal à me déplacer, je ne peux plus ouvrir de cruchons. Il y a des matins où j’ai l’impression d’avoir 120 ans… Souvent, la douleur est si forte que j’en ai des sueurs. J’accepte de ne plus pouvoir faire certaines choses. Mais j’ai une seule vitesse: intense. Alors, si un jour je dois marcher avec une canne, je m’en achèterai de toutes les couleurs! Et si je ne suis plus capable de me tenir debout, je ferai installer de belles chaises sur scène! 

Justement, à quoi faut-il s’attendre sur scène avec votre nouvelle tournée 3764, Elvis Presley Blvd? Le show comprend des classiques country qu’Elvis a présentés en spectacle, en plus des chansons de mon disque du même nom. Il y aura des danseurs, ce sera très vivant. Et comme je me donne toujours des défis pour bouger, je vais esquisser moi aussi quelques pas de danse. Mon corps ne veut pas toujours, mais là, il n’aura pas le choix! [rires]

La ligne droite, Libre Expression (2018, 192 p.). Pour connaître les dates de la tournée de Guylaine Tanguay: guylainetanguay.ca. 

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