Alzheimer: le moment de placer un parent

Alzheimer: le moment de placer un parent

Par Suzanne Décarie

Crédit photo: Eduard Militaru via Unsplash

Ils se répètent, ils perdent des objets, ils se perdent. Fragiles, apeurés, imprévisibles, ils ont encore de beaux éclats de lucidité qui font croire que la maladie n’a pas tout raflé. Mais peu à peu les mots leur manquent, les gestes familiers deviennent compliqués. Ils mêlent le jour et la nuit, ils oublient de se nourrir, ils s’embrouillent dans leurs pilules, ne savent plus s’habiller…

Prisonniers de leur mémoire incertaine, un pied dans le présent, l’autre dans le passé, ils s’accrochent et demandent une attention de tous les instants. Menacés par leurs oublis, ils ne semblent plus en sécurité nulle part. Et la famille affolée ne suffit plus à la tâche.

Débordés et impuissants, les proches n’ont souvent pas d’autres choix que d’envisager le placement du parent vulnérable dans un milieu où il sera entouré, encadré et protégé. Coupable, on a l’impression de s’apprêter à précipiter sa chute et à le plonger dans un chaos encore plus grand. Les rôles sont désormais inversés. On a dû faire le deuil de son parent indépendant et autonome.

Dur pour la famille

«L’hébergement est une étape difficile tant pour le malade que pour sa famille», reconnaît April Hayward, coordonnatrice et conseillère spécialisée à la Société Alzheimer de Montréal. C’est rarement une situation que l’on choisit, on s’y résigne plutôt. L’hébergement marque la fin d’une partie du rôle de la personne aidante, poursuit-elle. Plusieurs vivent de la culpabilité, surtout s’ils s’étaient promis de ne jamais placer leur mère ou leur père, et ce, même s’ils se rendent compte que ces promesses sont devenues irréalistes.»

Dans le meilleur des mondes, on devrait discuter dès les premiers signes de la maladie de la voie à suivre et entrevoir diverses avenues en ce qui concerne tant le maintien à domicile que les éventuels lieux de résidence. Mais on tarde à aborder le sujet… On a beau savoir que la condition de son parent se détériore, tant qu’il vit dans son environnement, on est porté à minimiser la portée de la maladie. «Plusieurs ont du mal à reconnaître l’ampleur des pertes, à bien saisir l’état de leur parent, qui n’ira pas en s’améliorant, constate Sofia Cohen. Certains hésitent à placer leur parent victime de l’Alzheimer pour préserver sa dignité.» Il arrive donc, dans bien des cas, que lorsque vient le moment de trancher, notre parent n’est plus apte à se prononcer. L’odieux de la décision repose alors sur les enfants ou sur l’autre parent dépassé.

Prendre une décision quand une personne est inapte

«Quand la personne est inapte, les proches doivent prendre toutes les décisions qui la concernent. C’est une responsabilité qu’ils se sentent souvent très seuls à assumer, note April Hayward qui invite les aidants à briser leur isolement. Il ne faut pas hésiter à joindre des organismes comme la Société d’Alzheimer, le CLSC et d’autres organismes communautaires qui sont là pour soutenir les proches.»

Pas coupables, mais désarmés devant les délais et les étapes à suivre. «Les familles parlent beaucoup de leur sentiment d’impuissance, note April Hayward. Plusieurs se disent en colère envers le système de santé qui ne répond pas à leurs attentes, envers les membres de la famille qui s’opposent au placement. Car il arrive que tous ne soient pas d’accord, ce qui est déchirant.» L’aide d’une tierce personne peut alors aider à voir clair et à en arriver à un consensus.

Public ou privé?

Une fois l’hébergement envisagé, la partie n’est pas gagnée pour autant: reste à se démêler à travers le réseau de la santé pour trouver l’endroit qui accueillera notre parent si l’on opte pour un centre du réseau public. Si ce n’est déjà fait, c’est le moment de communiquer avec son CLSC pour rencontrer une travailleuse sociale. Cette dernière évaluera l’état du patient, ce qu’un médecin devra faire aussi. Leurs évaluations seront acheminées à l’Agence de la santé et des services sociaux de la région qui étudiera le dossier pour déterminer le niveau de soins requis. Tout cela demande des mois…

Certaines agences, telles Visavie ou Orientation personnes âgées hébergement Québec, peuvent nous aider à trouver une résidence privée appropriée. On peut aussi consulter Le Programme Qualité Logi-être de la Fédération de l’âge d’or du Québec (FADOQ), qui octroie la reconnaissance Roses d’or aux résidences qui correspondent à certaines normes. 


Privé ou public, qu’est-ce qui est préférable? «L’hébergement privé est excellent, et même supérieur à l’hébergement public pour les cas légers et modérés, affirme Sofia Cohen. Mais le réseau public est mieux adapté pour les personnes dont la maladie est plus avancée. Le personnel y est mieux formé et mieux encadré; ces établissements doivent maintenir certains standards et sont évalués régulièrement. Les résidences privées sont souvent plus coquettes et plus chaleureuses, mais pour les cas lourds, ce n’est pas tant l’environnement extérieur qui compte que la qualité des soins, la réponse rapide aux besoins et la compétence des intervenants.»

AlzheimerL démarches et… patience

Pour choisir, il faut prendre des rendez-vous, visiter, bien observer et poser nombre de questions. On aura peut-être un choc en visitant, dans les CHSLD, les étages réservés aux personnes atteintes d’Alzheimer: la maladie est partout. Confronté à la réalité, on se rend compte, peut-être pour la première fois, à quel point notre proche est atteint… On réalise aussi que c’est probablement là qu’il finira ses jours.

Il est donc important de se sentir bien dans cet endroit qui ressemble à un hôpital, et de croire qu’il le sera aussi. Comment se rassurer? «En posant des questions, répond April Hayward. En prenant le temps de bien connaître le centre et le personnel. Et en visitant les lieux souvent et à des heures différentes.»

L’attente est longue dans le réseau public. Il faudra patienter de quelques mois à un an et demi avant qu’une chambre se libère! «Lorsqu’il y a urgence, on peut demander une place en transition dans un CHSLD, explique Sofia Cohen. Il arrive par ailleurs que le CLSC soit en mesure d’intensifier ses services afin de permettre au proche de rester chez lui jusqu’à son placement.»

Adaptation

Il faut du temps pour avoir une place dans un centre public, mais le jour où une place se libère, tout se passe vite. Notre proche doit emménager dans des délais très brefs. Dès que l’on a arrêté son choix, on prévoit donc ce qu’il apportera qui pourra l’aider à s’adapter en recréant un décor familier. Il ne faut pas se leurrer: le passage de la maison ou de la résidence au centre s’avère souvent ardu. «Cela peut prendre des semaines, voire des mois pour que la personne s’adapte à son nouvel environnement», reconnaît April Hayward.

Il vaut mieux ne rien cacher à son parent, lui expliquer clairement ce qui s’en vient, sans l’inquiéter inutilement des mois à l’avance. Une fois qu’il a emménagé, on partage les tâches en invitant les membres de la famille et les amis à être plus présents. «Certains se sentent tellement coupables de laisser leur proche qu’ils passent leurs journées à ses côtés, quitte à s’épuiser, alors que c’est ce qu’ils cherchaient à éviter», souligne April Hayward.

Impuissance, culpabilité, sentiment d’abandon, deuil… Le placement d’un parent n’est pas facile pour les proches, mais l’expérience peut se révéler positive.

Dans bien des cas, l’hébergement s’avère aussi bénéfique pour le parent qui vit désormais dans un environnement sécuritaire où il côtoie des gens et participe à des activités. «Cette étape difficile peut devenir quelque chose d’heureux», assure April Hayward.

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