Proches aidants: s’aider avant tout

Proches aidants: s’aider avant tout

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Jack Finnigan via Unsplash

Être proche aidant représente tout un défi. Heureusement, il existe des façons de se dévouer sans cesser de veiller à son propre bien-être. 

Si on prend soin d’une personne avec qui on a un lien affectif, qui présente une incapacité temporaire ou permanente, en lui offrant notre aide de temps à autre ou chaque jour, sans être payé pour le faire, alors on est un proche aidant. Une définition large, englobant autant Paul, qui déneige l’entrée de sa voisine veuve, que Paulette, qui s’occupe de son mari atteint de Parkinson, et que Pauline, mère d’un enfant handicapé. Ainsi, environ un Québécois sur quatre est un proche aidant. En fait majoritairement «une» proche aidante, puisque, d’après les résultats de l’Enquête sociale générale – Les soins donnés et reçus (2012), 57,6 % des proches aidants sont des femmes.

Or, selon des études, le statut de proche aidant peut avoir des conséquences fâcheuses sur la santé psychologique et mentale. Raison principale: l’oubli de soi, qui mène à l’épuisement, au déni ou à l’aggravation de notre propre état de santé. Pour s’en sortir, mieux vaut apprendre à écouter nos besoins et à s’occuper de nous à travers nos tâches de proche aidant.

Le hic, c’est que beaucoup de proches aidants ne s’identifient pas comme tels. Le cas classique: dans un couple, l’un tombe malade, l’autre en prend soin. «Par amour, par compassion, le conjoint s’occupe de son partenaire et refuse toute aide parce qu’il ou elle se sent responsable et juge normal de le faire», illustre Diane Delorme, directrice générale d’Action-services aux proches aidants de Longueuil (ASAPAL). 

 

Bien avant de toucher le fond

Dans 65 % des cas, le proche aidant ignore tout bonnement qu’il existe des ressources dans sa région, gratuites ou à faible coût, pour lui permettre de garder la tête hors de l’eau, montre encore la recherche. «Ce n’est que lorsqu’il est épuisé mentalement et physiquement qu’il se résout à chercher de l’aide, souligne Magalie Dumas, directrice générale adjointe de l’organisme national l’Appui et responsable du service Info-Aidant. En général, c’est lorsque la personne en perte d’autonomie reçoit un diagnostic que son proche aidant devrait commencer ses démarches, à moins que le diagnostic en question ait été posé très tard. Parce que c’est quand le malade a encore toutes ses facultés qu’il est temps de discuter avec lui de mandat d’inaptitude, de volontés testamentaires, de ses attentes par rapport à la personne qui l’aide, du temps qu’il veut rester chez lui avant d’être hébergé.»

 

«On ne peut pas s’en sortir seul»

C’est le constat auquel est arrivée Monique Robert, 76 ans, qui a accompagné pendant 12 ans son conjoint souffrant d’alzheimer et de démence frontale-temporale. «Son déclin a été graduel, dit-elle. Ça a pris du temps avant qu’il en vienne à s’égarer en voiture ou à avoir de la difficulté à s’exprimer.»

À l’annonce du diagnostic, la retraitée s’est d’abord sentie comme une victime. «Mon conjoint est resté six ans à la maison avant qu’un médecin décide de le garder à l’hôpital et de le transférer en centre d’hébergement. Durant ces années-là, il a fait des crises d’angoisse et il devenait parfois agressif. Par bouts, je me disais que je n’étais pas obligée de rester avec lui, de subir tout ça. J’éprouvais une tristesse infinie de le voir dépérir et adopter des comportements que lui-même n’aurait pas acceptés. Je me sentais impuissante. Puis, j’ai compris que c’était la maladie qui le transformait, qu’à la base il était bon, et ça m’a donné l’élan nécessaire pour passer au travers.»

Monique Robert a vu une annonce de l’ASAPAL dans son hebdo régional. Elle s’est rendue en pleurs dans les locaux de l’organisme, où on lui a prêté un bureau pour qu’elle puisse faire des appels dans l’intimité et on l’a informée des divers ateliers et groupes de soutien offerts aux proches aidants de Longueuil. «Le simple fait de pouvoir parler de mon expérience avec d’autres qui vivaient la même chose a été d’un grand réconfort, dit-elle. On ne peut pas s’en sortir seul.» 

 

Notre propre groupe de soutien

Il y a deux clés pour prévenir l’épuisement, précise Magalie Dumas. «Les proches aidants avec les trajectoires les plus enrichissantes et signifiantes sont ceux qui, d’abord, se reconnaissent comme proches aidants, puis demandent de l’aide. Il faut créer une équipe de soutien autour de nous. Car il n’est pas viable de donner sans cesse sans jamais recevoir quelque chose, soit du temps pour faire ce qui nous rend heureux.»

Cette équipe devrait être formée de nos amis et de nos proches, si possible, mais aussi de ressources et de personnel spécialisés. Magalie Dumas cite un cas qui l’a frappée par sa créativité. «Pendant le confinement, qui a été difficile pour tout le monde mais particulièrement pour les proches aidants, une femme hébergeant sa mère âgée a mis à contribution toutes les personnes significatives dans la vie de sa maman: amis, frères, sœurs. Elle a demandé à chacun de téléphoner à sa mère, à tour de rôle, et de lui parler durant une heure. Chaque jour, elle disposait ainsi de 60 minutes pour faire ce qu’elle voulait – marcher, lire, prendre un bain ou regarder une télésérie. Ses enfants et son conjoint étaient bien avertis que ce temps lui était exclusivement réservé. Souvent, les proches aidants ne nomment pas leurs besoins et craignent de demander de l’aide à l’entourage qui, de son côté, hésite à en offrir, de peur de déranger ou que l’aidante croie qu’il la trouve inadéquate. Voilà un exemple de stratégie simple, mais qu’il faut prendre le temps d’installer.» 

 

C’est correct d’être égoïste!

Lorsqu'on est proche aidant d’une personne qui habite avec nous, il est impératif de sortir de la maison, estime Diane Delorme. «Une des erreurs courantes est de se couper du monde extérieur, dit-elle. On n’appelle plus nos amis, alors que ce sont souvent eux qui se rendent compte qu’on ne va pas bien. On s’isole. On s’oublie en tant qu’individu. Avec le temps, la dynamique entre deux conjoints peut changer: certains deviennent contrôlants, exigeants, et en viennent à considérer l’autre comme un infirmier plutôt que comme l’être aimé. À l’ASAPAL, on travaille à faire prendre conscience aux proches aidants qu’ils sont des humains avec des émotions, des sentiments, et que c’est non seulement normal, mais vital de se protéger et de se réserver un minimum de temps pour soi, en recourant aux services de répit à la maison ou en centre de jour, notamment. On les aide à se sortir de la culpabilité. Après tout, ce n’est pas leur faute si l’autre est malade!»

Pour Monique Robert, le répit prenait souvent la forme d’une sortie en voiture. «Quand mon conjoint devenait agité ou agressif, je prenais le volant et je roulais. J’allais au centre commercial ou je me garais et j’appelais un service d’aide téléphonique pour pleurer, ventiler. J’en avais la possibilité, car il était encore autonome.» Lorsqu’il a été placé, elle allait le voir tous les jours, lui donnait «des bains moussants, parce que c’était un plus», mais le jour où il a cessé de marcher et a été changé d’unité, «l’adaptation a été très difficile, avoue Monique. J’y allais alors tous les deux jours, car quotidiennement, c’était trop.» Son conseil? «Il faut être un peu égoïste et penser à soi, cesser de se sentir coupable», confie celle qui se faisait aussi plaisir en allant manger au restaurant.

 

Se donner de l’oxygène

Notre vie sociale et nos loisirs sont les premiers sacrifiés quand on est proche aidant. Pour les retrouver, il n’y a pas d’autre moyen que «de se parler et de se convaincre», souligne Diane Delorme. «Tout d’abord, on doit prendre un temps d’arrêt pour réfléchir à ce qu’on aime faire, à ce qui nous stimule et nous fait plaisir, tant psychologiquement que physiquement.» 

Massage, café avec une amie, randonnée, soirée dansante, tout dépend de chacun. Puis, il s’agit de créer les conditions favorables pour y accéder, ajoute Magalie Dumas. «Il faut toutefois se montrer ouvert et flexible.» Si, par exemple, on aime lire ou prendre un bain en soirée, mais que le moment le plus propice est le matin, quand notre proche regarde la télé ou reçoit de l’aide à domicile, on gagne davantage à changer notre habitude qu’à la maintenir. «Car si on s’acharne, on risque de devenir frustré contre l’aidé, sans que ce soit réellement de sa faute.»

Pour mettre toutes les chances de notre côté, «on doit s’accorder des moments de loisir qui nous comblent ET utiliser des services comme ceux des groupes de soutien, qui valident ce qu’on vit, ou encore suivre divers ateliers. Par exemple, ceux qui accompagnent un proche atteint d’alzheimer peuvent y apprendre à interagir avec lui. Il existe des trucs pour ça et si on ne les connaît pas, on peut frapper un mur, mentionne Magalie Dumas. Ça peut paraître beaucoup de consacrer deux heures chaque semaine pendant cinq semaines pour participer à un atelier, c’est minime par rapport aux bénéfices qu’on en retire, qui se répercuteront sur des années.»

En somme, il faut penser comme lorsqu’on voyage en avion. «On nous dit de mettre notre masque à oxygène avant d’enfiler celui de nos enfants, et l’image s’applique aussi aux proches aidants, dit Magalie Dumas. Prenez le masque pour vous et, ensuite, vous serez en mesure de procurer une qualité de vie à votre aidé tout en préservant la vôtre.» 

Pour en savoir plus: Info-Aidant (1 855 852-7784, lappui.org) est à la fois un service d’écoute, d’information et d’aiguillage vers des ressources locales.

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