Comment cesser de se culpabiliser?

Comment cesser de se culpabiliser?

Par Jacqueline Simoneau

Crédit photo: Photo by Huy Phan on Unsplash

Culpabilité inutile et mal placée? 

«Je savais qu’une de mes collègues avait le béguin pour un confrère, mais elle n’avait jamais osé le lui avouer, raconte Mélanie. Or, dans la matinée précédant un dîner d’équipe, on s’est disputées sur la façon de traiter un dossier. Encore en colère au moment du repas, j’ai dit son secret au principal intéressé. Après, je me suis sentie coupable, très coupable. J’ai admis mon erreur. Mais le mal était fait. La prochaine fois, je vais tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler.»

 

Mélanie a raison de se sentir coupable. Et le fait d’avoir agi sous l’impulsion du moment ne diminue en rien l’importance de son geste. Elle éprouve ce qu’on appelle une saine culpabilité: celle que l’on ressent quand on fait quelque chose qui va l’encontre de nos valeurs. «À la base, le sentiment de culpabilité est nécessaire au développement du jugement moral, explique Marc Therrien, psychologue. C’est grâce à lui notamment qu’on est capable d’avoir des regrets, de l’empathie et du respect pour les autres. Les psychopathes et les tueurs en série, eux, n’ont pas cette faculté de ressentir de la culpabilité, d’où leur incapacité à se mettre à la place de leurs victimes et d’imaginer qu’ils les font souffrir. Bien entendu, l’intensité du sentiment doit tout de même être proportionnelle à la faute. Logiquement, on devrait se sentir plus mal à l’aise d’avoir trompé son conjoint que d’avoir dit à une copine que sa coiffure lui allait à ravir alors qu’on pensait le contraire.»

 

Très souvent, aussi, on ressent de la culpabilité pour des motifs qui ne tiennent pas la route. «Les trois quarts du temps, on n’a aucune raison de se sentir coupable, tout simplement parce qu’on n’est pas responsable, estime la psychologue Louise Descoteaux. C’est l’intention de nuire volontairement à quelqu’un qui doit éveiller en nous de la culpabilité. Dans le cas contraire, on peut se sentir désolé, malheureux, impuissant devant la tournure de certains événements, mais pas coupable.» Des exemples de sentiment de culpabilité inutile et mal placé? On a mis son enfant à la garderie alors qu’on n’a pas le choix, on est en santé alors qu’un proche est très malade, on a oublié l’anniversaire d’une copine, on peut partir en voyage sans les enfants... Eh oui, la liste est longue.

 

Les personnes émotivement fragiles

On a tous, à un moment ou à un autre, ressenti de la culpabilité. Normal. Mais chez certaines personnes, ce sentiment est omniprésent et leur gâche la vie. Véronique en sait quelque chose. «Si quelque chose ne fonctionne pas, je pense tout de suite que c’est ma faute, dit-elle. Je suis comme ça depuis que je suis toute petite. Hier, par exemple, il n’y avait plus de feuilles dans l’imprimante. Le patron a demandé pourquoi personne n’en avait remis. Ce n’est pas nécessairement à moi que revient cette tâche, mais je me suis immédiatement sentie très coupable. Je me sens ensuite coupable de m’être sentie coupable!» Certains individus sont plus susceptibles que d’autres de ressentir fréquemment de la culpabilité. Les hypersensibles, les perfectionnistes, les timides ainsi que les personnes ayant une faible estime d’elles-mêmes en font partie.

«Émotivement fragiles, ces personnes sont très sensibles à ce que les autres pensent d’elles, souligne Claire Leduc, travailleuse sociale et thérapeute conjugale et familiale. Elles se culpabilisent très facilement pour tout et rien. Elles sont aussi du genre à s’excuser mille et une fois pour avoir, par exemple, sali involontairement le parquet... même si elles ont pris soin de bien essuyer après.»

Les gens soumis sont également enclins à vivre de la culpabilité. «Ils éprouvent une peur intense d’être abandonnés, commente Marc Therrien. Dans le but de se faire aimer, ils deviennent extrêmement gentils ou, au contraire, réagissent avec agressivité, puis se sentent terriblement coupables ensuite.»

Enfin, les personnes anxieuses ont aussi la culpabilité facile. Elles sont souvent très contrôlantes par souci de prévenir les situations angoissantes. Le problème, c’est que lorsqu’elles ne sont pas arrivées à imaginer ce qui est finalement arrivé, elles se culpabilisent, même s’il s’agit d’un déroulement qui était totalement imprévisible.

 

L’origine du sentiment de culpabilité

Indépendamment de ces traits de personnalité, comment expliquer que certaines personnes se sentent coupables pour un tout ou pour un rien?

«L’origine de ce sentiment de culpabilité remonte souvent très loin, affirme Louise Descoteaux. L’enfant vient au monde totalement impuissant. Si ses parents ne le nourrissent pas, il va mourir. Par contre, il se rend compte rapidement que lorsqu’il pleure, on lui apporte son biberon ou on vient changer sa couche. Il réalise inconsciemment qu’il a du pouvoir sur son entourage. Il ne se sent plus impuissant. Mais, parallèlement, se développe chez lui un sentiment de culpabilité: quand on ne répond pas toujours à ses besoins, il pense qu’il a probablement fait quelque chose de mal. De même, si la mère est fatiguée, déprimée, débordée, l’enfant risque de se sentir responsable de ses humeurs. D’où l’importance de la qualité du lien parental, particulièrement avec la mère, afin que l’enfant puisse tempérer ces émotions.»

«Le sentiment de culpabilité est également lié à la peur de l’abandon durant l’enfance, ajoute Marc Therrien. L’enfant a besoin de se sentir aimé. Si les parents menacent de lui retirer leur amour dès qu’il commet une erreur, il grandira dans la crainte d’être abandonné. De là à se croire perpétuellement en faute et, par extension, coupable, il n’y a qu’un pas. L’enfant a besoin d’être encadré, dirigé, mais certainement pas dans un contexte de domination parentale. Il n’est pas étonnant d’entendre des adultes avouer: “Toute ma vie a été basée sur l’opinion des autres.” Ils ont grandi avec l’impression de ne jamais être à la hauteur.»

«Le sentiment de culpabilité est également lié aux valeurs de la société dans laquelle on a grandi. En Occident, par exemple, l’éducation est marquée par les valeurs religieuses axées sur la faute et le sentiment de culpabilité.››

 

Cesser de se culpabiliser

Si on ne peut changer le passé, on peut à tout le moins améliorer le futur. Comment arriver à se débarrasser de ces sentiments de culpabilité qui nous empêchent souvent d’avancer? «Demandez-vous si vous avez raison de vous sentir coupable, conseille Louise Descoteaux. Aviez-vous délibérément le désir de faire mal à autrui? Quelle est votre part de responsabilité dans l’acte que vous vous reprochez? Si on est responsable, on assume. Sinon, il faut reconnaître et accepter qu’il y a des situations devant lesquelles on est impuissant. On n’a pas à se sentir coupable de ne pas terminer son repas quand on n’a plus faim même s’il y a des enfants dans le monde qui ne mangent pas à leur faim. On a certains pouvoirs, mais pas le pouvoir absolu. Si on est sensible à la faim dans le monde, on peut toujours choisir de venir en aide à un enfant démuni, par exemple. C’est plus utile que d’éprouver de la culpabilité! Et si, sans le faire exprès, on a fait du mal à quelqu’un, on s’excuse (une fois suffit!) et on passe à autre chose. Il faut apprendre à être plus tolérant avec soi-même, à se donner le droit de faire des erreurs.» 

Selon Claire Leduc, les problèmes non réglés peuvent aussi accentuer ou entretenir un sentiment de culpabilité. «C’est le cas notamment d’une personne qui a été infidèle, mais qui n’ose pas en parler avec son conjoint ou sa conjointe. C’est peut-être mieux ainsi pour l’équilibre du couple. Reste qu’il est difficile de vivre, jour après jour, avec ce secret. Auparavant, la confession permettait de se libérer de sa culpabilité. Mais comme elle n’existe plus, il faut trouver quelqu’un à qui parler - un thérapeute par exemple – et qui pourra nous aider à faire la paix avec nous-même.»

Il faut cependant assumer la responsabilité de ses actes. On a de plus en plus tendance dans nos sociétés à attribuer la faute aux autres plutôt qu’à soimême. «Il faut prendre sa part de responsabilité, indique Marc Therrien. Être responsable, c’est mesurer la portée de ses actes et en assumer les conséquences. Pour y arriver, il faut cependant faire un bon travail sur soi.» Compris!

 

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