Les relations mère-fille

Les relations mère-fille

Par Suzanne Décarie

Crédit photo: iStockphoto.com

Nous les avons portées, bercées, consolées... Attendues ou inattendues, elles ont été nos bébés. Tantôt rieuses, tantôt inconsolables, elles ont été des fillettes attachantes, tranquilles ou turbulentes; des adolescentes rebelles, taciturnes ou bavardes qui nous remettaient peu ou prou en question.

Chaque étape de leur développement a contribué à ce que nous nous séparions l’une de l’autre, à ce qu’elles se distinguent et deviennent elles-mêmes. Nous avons rêvé de protéger nos filles, de leur offrir même ce que nous n’avions pas reçu. Secrètement, nous souhaitions racheter, conjurer ou prolonger le lien à notre propre mère.

Battantes ou accablées, sereines ou tourmentées, en couple ou en solo, lesbiennes ou hétéros, mères ou pas, nos filles sont maintenant femmes. Et nous en sommes fières, comme nous pouvons en être déçues, surtout si nous voyions grand pour elles. Mais que nous le voulions ou non, notre rôle d’éducatrice est terminé. Nos filles sont qui elles sont. Nous avons fait ce que nous avons pu avec ce que nous étions et dans les circonstances qui prévalaient aux différents âges de leur vie et de la nôtre.

Regrets et bonheur

On peut avoir des regrets, penser que l’on aurait pu faire mieux, ou autrement. «Les femmes se sentent perpétuellement coupables», se désole Doris-Louise Haineault, psychanalyste et auteure de Fusion mère-fille: s’en sortir ou y laisser sa peau. «Cessons de croire que les mères doivent être parfaites, dit-elle. Nous devons nous assumer, et assumer nos torts. En reconnaissant que nous n’avons pas été parfaites, nous permettons à nos filles de ne pas l’être non plus.»

De plus en plus de mères sont heureuses de leurs rapports avec leurs filles, qu’elles jugent souvent meilleurs que ceux qu’elles avaient avec leur propre mère. D’autant plus que nos filles disent davantage ce qu’elles pensent, osent nous remettre en question et être en désaccord avec nous sans craindre la fin de notre relation, qui n’est pas simple pour autant. Elle est plutôt complexe et se joue sur un lot d’attentes et de déceptions. Attentes inconscientes de la mère qui rêve de la fille idéale, capable de réparer ses manques et ses déceptions. Difficultés de la fille d’être différente de ce que sa mère voudrait qu’elle soit. Derrière bien des querelles mère-fille se profile d’ailleurs soit une résistance à accepter la différence, soit un désir de différence. Le plus dur, dans les relations mère et fille, c’est d’arriver à se séparer, à rompre la fusion tant souhaitée, à être deux personnes distinctes tout en étant capables de partage.

Des irritants

«Toute mère porte en elle le désir que sa fille soit son double, rappelle Doris-Louise Haineault. Il faut se dire qu’elle est différente de soi, qu’elle a d’autres qualités, qu’elle doit développer ses propres aptitudes, aller au bout d’elle-même, là où elle s’épanouira, même si ça ne ressemble en rien à ce que l’on avait imaginé. La fille qui s’emploie à être le double de sa mère rate sa vie. La mère doit la laisser partir, l’aider même à le faire.»

«Le maître mot dans les relations avec nos filles, c’est le respect», insiste Véronique Moraldi, auteure de La Fille de sa mère. De la difficulté des rapports mère-fille. Il faut accepter le fait que nos filles sont adultes, les regarder avec curiosité plutôt qu’en les jugeant, apprendre à ne pas nous ingérer ni dans leur vie ni dans leur intimité, faire preuve de bienveillance et de compassion.

Il faut travailler sur soi, savoir se taire et, surtout, ne pas être intrusive, soutient pour sa part Doris-Louise Haineault. «Laissons à nos filles leur liberté!», lance-t-elle en nous invitant à accepter nos failles et celles de nos enfants. «Les mères qui sont trop critiques et trop dures envers leurs filles peuvent leur causer un tort extrême. Ce sont elles qu’elles n’aiment pas. Elles ne doivent pas être bien dans leur peau et elles gagneraient à aller en thérapie.»

Des irritants

Leur façon de s’habiller, leur allure, leur style de vie… Tout peut nous hérisser ou nous faire envie. Il n’est pas toujours facile de ne pas émettre de commentaires, de ravaler les «je te l’avais dit»…

Si nous sommes trop proches de nos filles, leurs conjoints peuvent avoir l’air d’intrus, de rivaux. Nous pouvons souffrir de voir nos filles s’engager dans des relations sans issue ou à l’issue trop prévisible, ou simplement au bras d’un homme qui ne nous revient pas. «La seule chose à faire, croit Véronique Moraldi, c’est d’exprimer notre point de vue avec délicatesse. Il faut dire ce que nous ressentons, toujours parler au je, sans accuser. Si nous remettons notre fille en cause, elle ne se sent pas considérée en tant qu’adulte. Et puis, nous ne sommes pas à sa place: nous ne connaissons pas tous les tenants et aboutissants de la relation, ses bénéfices secondaires.»

Et nous ne sommes pas tenues de le voir si souvent. Le rythme des visites peut être sujet de reproches ou de conflit, surtout s’il y a injonction, devoir, obligation. «C’est lorsqu’il y a de la contrainte et du chantage affectif que cela se passe mal», remarque Véronique Moraldi.

L’arrivée des petits-enfants

L’arrivée des petits-enfants

La naissance des petits-enfants fait déferler des vagues d’émotions. Mères et filles se rapprochent alors, ou s’éloignent, surtout quand ça n’a pas bien été entre elles. Entichées des petits, la plupart des grands-mères souhaitent dorloter, cajoler, chouchouter... Et c’est ce que l’on a de mieux à faire, puisque leur éducation n’est pas de notre ressort! Quelle que soit l’attitude de nos filles envers leurs chérubins, «il faut encore nous taire!, dit Doris-Louise Haineault. Nous ne sommes pas censées vouloir que nos filles soient les mères que nous avons été. Nous les trouvons permissives ou trop sévères? C’est leur choix.» «Tout conseil n’est pas interdit», tempère cependant Véronique Moraldi. On peut faire profiter de notre expérience. Il s’agit de choisir la manière de le dire pour que sa fille ne se sente pas remise en cause dans son rôle de mère.

Et si elle nous reproche de vouloir faire avec nos petits-enfants ce que nous n’avons pu faire avec elle? «C’est le privilège des grands-mères de pouvoir faire avec leurs petits-enfants des choses qu’elles n’ont pas eu le loisir de faire avec leurs enfants, qui ont peut-être manqué de temps ou d’affection, poursuit Mme Moraldi. Mais à l’époque, nous ne pouvions faire autrement… Nous pouvons expliquer à nos filles qu’à telle période, ça n’allait pas et que nous n’avons pas pu être aussi disponibles ou sereines que nous l’aurions souhaité.» Il faut entendre la souffrance de notre fille, la laisser dire ce qu’elle a sur le cœur, reconnaître nos torts, mais nous ne pouvons revenir en arrière…

Notre fille abuse, nous demande sans cesse de garder ses enfants, nous réclame de l’argent, des repas, le gîte? «Il faut alors se parler pour vrai, suggère Doris-Louise Haineault. Dire ce que nous pouvons faire et quand, fixer clairement nos limites en insistant sur le fait qu’on ne les outrepasse pas.»

Comment garder l’harmonie

Malheureusement, il arrive aussi parfois que nos filles préfèrent nous éviter. Certaines ont l’impression que ce que nous leur avons donné, et que ce que nous pouvons encore leur apporter, est si négatif qu’il vaut mieux qu’elles s’éloignent. Doris-Louise Haineault suggère alors de laisser passer un peu de temps, «le temps de reprendre ses esprits», puis de faire les premiers pas. «C’est le rôle de la mère d’ouvrir des portes. Nous devons essayer de comprendre ce que l’on nous reproche, annoncer notre disponibilité, mais accepter la distance.» Nous pouvons simplement leur rappeler que nous sommes là et maintenir le lien par des messages, des lettres, des courriels, des cadeaux aux anniversaires, même si elles ne répondent pas.

Nos filles doivent comprendre que l’on n’a jamais la mère que l’on veut; nous n’avons pas eu la mère idéale et leur fille ne l’aura pas non plus. «C’est le deuil le plus difficile à traverser, admet Doris-Louise Haineault. Mais il faut passer à travers, se réaliser soi-même. C’est maintenant à la fille de jouer.»

Comment garder l’harmonie

Pour garder l’harmonie dans ses relations, on doit donc accepter le fait que sa fille est une adulte et consentir à sauter de rang généalogique pour devenir une grand-mère. «L’une est une mère, l’autre est une fille. Chacune son rang, explique Véronique Moraldi. Une mère doit être une maman par moments, c’est-à-dire être complice, gratifiante, affectueuse, ce qui n’a rien à voir avec le fait d’être la meilleure amie de sa fille. Il ne s’agit surtout pas d’être sa confidente sur sa vie amoureuse, sur sa vie affective, sur sa vie sexuelle…»

Doris-Louise Haineault invite pour sa part les mères à lâcher prise, à s’occuper d’elles-mêmes, à se donner des plaisirs en dehors des enfants et des petits-enfants, à user d’humour. Rien de tel pour dédramatiser les situations corsées et apaiser les humeurs !

À lire

La Fille de sa mère, par Véronique Moraldi, Les Éditions de l’Homme, 2006, 336 p. Explore les dérives de la relation mère-fille avec une dose d’humour, témoignages à l’appui. Pistes et conseils concrets pour améliorer sa relation à sa mère ou à sa fille.

Fusion mère-fille, s’en sortir ou y laisser sa peau, par Doris-Louise Haineault, 2006, 118 p. À travers le parcours de trois femmes qui, grâce à la psychanalyse sont parvenues à sortir de l’histoire de leur mère, à s’affranchir de leurs “surmères, ces mères que rien ne fait renoncer à leur rêve de fusion”, pour vivre leur propre histoire», l’auteure plonge dans l’inconscient de la relation mère-fille.

Mise à jour: juillet 2013

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