Grandes entrevues Le Bel Âge: Pauline Martin

Grandes entrevues Le Bel Âge: Pauline Martin

Par Paul Toutant

Crédit photo: Laurence Labat; maquillage: Manon Parisien; coiffure: Constance Gagné coiffure

Et Dieu sait si Pauline Martin nous a fait rire pendant toutes ces années. À l’épicerie, certains l’abordent encore en l’appelant Madame Mongrain. Il faut dire que ses imitations de l’animateur Jean-Luc Mongrain font partie de l’anthologie du rire au Québec.

Et si derrière la comique se cachait une autre Pauline Martin? Une Pauline cultivant un jardin secret, et qui se prépare doucement à délaisser les feux de la rampe pour goûter sereinement aux joies intimes de l’écriture... 

La folie furieuse 

Pauline Martin ne manque pas de travail. Elle a terminé en mai une tournée du Québec avec la comédie Les chroniques de Saint-Léonard en compagnie de ses camarades de chez Duceppe. Cet été, elle fera les beaux jours de la Maison des arts de Drummondville avec la folle production de Boeing, Boeing, un vaudeville aux portes qui claquent et dans lequel elle joue le rôle d’une bonne bourrue. Faire rire, toujours et encore: «Gilles Latulippe a laissé un grand vide, lui qui faisait rire les foules tout l’été à Drummondville, affirme Pauline. La pièce que nous présentons du 13 juin au 5 septembre va plaire au public de Gilles, j’en suis sûre, en plus d’attirer les amateurs de théâtre comique réglé au quart de tour.» Mise en scène par André Robitaille, Boeing, Boeing raconte les déboires d’un séducteur qui court trop de lièvres à la fois. C’est la pièce française la plus jouée dans le monde, selon le Livre Guinness des records

On verra aussi Pauline Martin cet automne dans quelques épisodes du téléroman Mémoires vives à Radio- Canada. Mais la comédienne se doute que, étant donné ses 63 ans, les rôles intéressants vont peut-être se faire moins nombreux. «Je suis plus chanceuse que bien des amies de mon âge, me confie-t-elle. Je ne manque pas d’ouvrage. Pourtant, les rôles de femmes mûres sont plutôt rares. On me confie encore des personnages énergiques, pas reposants, qui se démènent trois fois plus que les autres. À la longue, mon corps se fatigue, même si j’adore ça!» 

Métier: communicatrice

Tout au long de sa carrière, Pauline Martin a eu l’intuition géniale de se pas se cantonner dans une seule dimension de carrière. Elle a développé ses talents de communicatrice, ce qui lui a permis de traverser des moments difficiles. «Mon premier choix de métier était le journalisme, raconte-t-elle. À 16 ans, j’animais une chronique à Chicoutimi pour la radio de Radio-Canada (SRC) avec Joël Le Bigot. Quand j’étudiais en théâtre à Sainte-Thérèse, on m’a offert d’animer l’émission du samedi soir à la radio de la SRC. L’École a refusé que je travaille pendant mes études, et j’ai décliné cette offre.» Heureusement pour nous! 

En 2002, Pauline est devenue Miss Météo à la radio de la SRC, une aventure matinale qui a duré cinq ans. «En fait, dit-elle, je soutenais l’animateur avec des chroniques impromptues. Ce fut une expérience formidable qui m’a été offerte à un moment où j’étais épuisée par mon métier de comédienne. Mais, paradoxalement, cela m’obligeait à me lever à quatre heures du matin. Pour la première fois de ma vie, j’avais une paye régulière et des avantages sociaux. Chaque jeudi, j’avais envie de téléphoner à Ottawa pour les remercier!» 

Plus récemment, Pauline a été l’animatrice d’un documentaire en trois parties portant sur la réalité de la retraite: Lucidité 55. Diffusée à RDI, la trilogie se voulait une réponse au fameux slogan Liberté 55 de la compagnie London Life. «On a rencontré ceux qui ont conçu ce message publicitaire, explique Pauline. Ils disent qu’ils ont été mal compris, que l’annonce ne signifiait pas que leur plan d’épargne allait permettre aux gens de partir à la retraite à 55 ans, mais plutôt qu’ils auraient le choix de partir au moment voulu. Ah bon?» Le documentaire brise le tabou de la pauvreté qu’engendre une retraite mal planifiée; il aborde aussi le thème de la santé qui se détériore encore plus vite que les châteaux en Espagne. «Je suis à l’aise dans ce genre de communication, ajoute Pauline. Je peux faire autre chose que de la comédie, et ça se voit!» 

Le jardin secret

Pendant toutes ces années où Pauline Martin faisait la folle sur scène et au petit écran, elle nourrissait l’écrivaine en elle, une facette inconnue de tous, sauf de ses proches. À Samedi de rire, au Bye Bye, elle nous faisait pleurer de rire avec ses personnages et ses imitations, mais peu de gens savaient qu’elle écrivait des textes comiques pour ses amis comédiens. «J’ai écrit des séries pour la radio en plus de réécrire les textes d’autres auteurs, confie-t-elle. Mes tiroirs sont pleins d’éléments qui serviront à des romans ou à des recueils de nouvelles, mais je n’en parle pas. Pour moi, écrire est un geste intime et je ne sais pas encore si, ou quand, je partagerai mes écrits avec d’autres. Lorsque j’écris, je décroche complètement du reste de l’existence. Mes enfants m’ont surnommée “la casanière” tellement j’aime rester chez moi pour coucher sur papier le fruit de mon inspiration.» 

Idéalement, Pauline Martin aimerait faire de la scène jusqu’à 70 ans, puis délaisser la performance scénique pour explorer son jardin secret. Elle se montre très discrète sur sa production littéraire. «Je suis très poreuse, explique-t-elle, et si je parle publiquement de mes écrits, je risque d’être influencée par les opinions et les commentaires des gens. Or, je ne veux pas que les énergies des autres modifient la gestation de ce qui monte en moi.» 

La comédienne accepte par contre de donner un exemple public de son travail. Son frère Albert Martin, décédé en 2010, était écrivain et il a publié quelques romans ainsi qu’une pièce de théâtre, La vieille demoiselle. «J’ai hérité de ses manuscrits, me dit Pauline avec émotion, et j’ai trouvé quelques versions de cette pièce qui avait été montée il y a vingt ans. Je l’ai remaniée, j’ai enlevé les incongruités, resserré les dialogues et j’ai montré le résultat à quelques amis. Eh bien, la pièce sera jouée cet été au Pavillon de l’île Saint- Bernard à Châteauguay dans une mise en scène de Pierre- François Legendre. Je suis tellement heureuse! C’est une comédie complètement farfelue, l’histoire d’une vieille dame qui invite de possibles héritiers à une lecture de testament. Bien entendu, un orage éclate et tout va de travers! Je suis très émue, surtout parce qu’on va accrocher une photo d’Albert à un mur du décor.» 

Rose-Aimée Dupuis

J’apprendrai aussi que Pauline Martin a le projet de faire revivre son fameux personnage de Rose-Aimée Dupuis, cette vieille dame à la voix chevrotante qui faisait hurler le public de Samedi PM et de Samedi de rire. «J’adore Rose-Aimée, dit-elle, qui est un peu ma mère, mais avec beaucoup d’exagération. Elle n’a aucun filtre, aucune autocensure, et elle peut dire les pires horreurs sans choquer. Je peux m’en servir pour passer les messages les plus terribles: le public trouve ça drôle et libérateur!»

J’ai cru comprendre que Rose-Aimée pourrait revenir dans une émission de télé. Encore faudra-t-il que les diffuseurs acceptent de montrer un personnage âgé à la télévision. Vous avez remarqué que les gens du bel âge ne sont pas très présents sur les ondes québécoises, même si nous formons une majorité de téléspectateurs. À quand une programmation à notre image? 

Pauline constate par ailleurs que le respect envers les gens d’expérience s’est perdu au Québec. «On se débarrasse de ceux qui savent travailler, comme les infirmières, et ensuite on se plaint que ça va tout croche, explique-t-elle. Il faudrait instaurer une sorte de mentorat qui permettrait aux gens plus vieux d’initier les jeunes aux subtilités de leur métier. Tout le monde travaillerait quelques jours par semaine au lieu de chômer, et on n’y perdrait pas en qualité. Il faut que les générations s’entraident.» 

L’entraide sociale est très importante pour Pauline, qui est devenue l’an dernier porte-parole de la Fondation En Vue de l’Institut Nazareth et Louis-Braille, auquel elle donnait de son temps depuis un moment. «Ma mère, morte à 100 ans, était aveugle à la fin de sa vie, dit-elle, et j’ai compris avec elle l’importance de venir en aide aux malvoyants.» 

Un nouveau souffle

C’est en 2012 que la maman de Pauline est décédée. Un gouffre s’est alors ouvert devant la comédienne, un abîme aussi immense qu’inattendu. «Je ne l’avais pas vue venir, celle-là, me confie-t-elle. Il s’est produit une cassure en moi, un effondrement physique et psychologique total. Je n’avais pas conscience à quel point ma mère m’habitait. J’ai dû remettre en place toutes les parties du casse-tête qu’était devenue ma vie.» À 60 ans, Pauline Martin réalise qu’elle a toujours vécu dans le désir des autres. Sa mère, pianiste de concert, avait laissé sa carrière pour élever sa famille, et Pauline est devenue celle qui brillait sous les projecteurs à sa place. «J’étais son trophée, explique Pauline. Chaque fois que je passais à la radio ou à la télévision, elle téléphonait à mes frères et soeurs pour qu’ils me regardent. J’ai eu tellement peur qu’ils se tannent et ne m’aiment plus! À la mort de maman, c’est tout le poids de ses espérances qui m’a écrasée.» 

Elle poursuit: «Heureusement, ma famille m’aime encore beaucoup, mais j’ai dû faire du ménage dans ma vie. Vous savez, lorsqu’on joue un texte pendant plusieurs semaines, chaque jour à la même heure, avec les mêmes respirations, avec la même énergie, il peut arriver que ça ait des conséquences inattendues sur le cerveau. J’ai joué Bachelor plus de 400 fois, c’était un drame extrême sur la solitude et l’ignorance. Quand j’ai arrêté, j’ai eu l’impression de me débarrasser d’une voisine encombrante qui empoisonnait ma vie. Enfin de l’air!» 

«Après la mort de ma mère, j’ai appris à ne plus me sentir coupable de dire non à des gens et de faire passer ma santé avant tout. Je me suis carrément éloignée de certaines personnes devenues toxiques, des anxieux chroniques dont les peurs déteignaient sur moi, et j’ai arrêté de m’inquiéter à propos de mon avenir professionnel. Si jamais on ne veut plus de moi, je sais que mes deux enfants et mes deux petits-enfants auront toujours besoin de moi. Et moi, je vais toujours vouloir de moi: j’ai fait la paix avec la solitude, et je l’appelle maintenant pour enfin écrire tout ce que j’ai dans la tête et dans le coeur.» Sur ces paroles, elle me montre les photos de ses deux adorables petits-enfants qui sont l’amour de sa vie. Un éditeur lui a demandé d’écrire son autobiographie, mais Pauline se trouve trop jeune. «Je commence la plus belle phase de mon existence, dit-elle, je suis enfin sereine, heureuse et en paix avec moi-même. Il sera toujours temps, plus tard, de me raconter.» Sur ces paroles, elle prend son accent là-là du Saguenay: «Puis un jourrr, peut-êtrrre que j’irrrai dans un salon du livrrre signer des orrrtographes et me fairrre dirrre: “Madame Mongrrrain, on s’ennuie de vous.” 

Sa cause: la Fondation En Vue

La Fondation En Vue de l’Institut Nazareth et Louis-Braille offre des services exceptionnels aux personnes ayant des déficiences visuelles. L’organisme paragouvernemental est reconnu dans le monde entier pour son excellence. Depuis l’an 2000, la Fondation lui a versé 6,5 millions de dollars. 

L’Institut emploie 230 personnes dont 20% sont non voyantes ou présentent une déficience visuelle. On y offre aux gens de tous les âges des services comme l’aménagement d’une maison ou d’un lieu de travail, le suivi des ordonnances pour les lunettes ou encore à la suite d’une intervention chirurgicale. Des psychologues peuvent aider les patients à accepter leur perte de vision, des bénévoles peuvent aider les aveugles à utiliser les transports en commun. L’Institut possède aussi une boutique où l’on trouve tous les accessoires utiles aux non-voyants dans leurs activités domestiques ou récréatives. 

On peut faire un don de plusieurs façons à la Fondation En Vue: par téléphone, 1 800 361-7063; en ligne, fondationenvue.org; par la poste, 1111, rue Saint-Charles Ouest, Longueuil (Québec) J4K 5G4. 

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