Visière au vent

Visière au vent

Par Jean-Louis Gauthier

Ma boîte aux lettres me réserve rarement de grandes surprises. Le lot habituel, quoi ! Des comptes, des publicités, et encore des publicités – que de papier gaspillé, d’arbres abattus pour engraisser le bac à récupération ! Mais parfois, rarement, se trouve parmi tout ce fatras un envoi que je n'attendais pas.

Ainsi, ce matin-là, il y avait avait, cachée entre deux dépliants, une enveloppe brune en provenance de Revenu Canada.

Revenu Canada ! Le genre d'expéditeur que l’on n’apprécie pas particulièrement ! Fidèle à ma mauvaise habitude, j’ai d’abord pensé au pire. Mon comptable avait-il fait une erreur dans ma récente déclaration d’impôt ? Oublié d'indiquer une partie de mes revenus ? Déduit une somme à laquelle je n’avais pas droit ? Je me voyais déjà en dette avec le fisc.

J’avais tout faux ! C’était le formulaire à remplir pour demander la pension de la Sécurité de la vieillesse.

. . .

Eh  oui, me voilà arrivé à l’âge vénérable de 65 ans. Et bientôt pensionné à vie, pour le meilleur et pour le pire, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

On a beau s’y attendre, ça fait un choc !

Et cette appellation, « Sécurité de la vieillesse », ça n'arrange rien !

En effet, le mot « vieillesse » ne me semble pas convenir ici pour désigner le jeune homme que je suis, encore fringant et plein d'allant. N’allez surtout pas croire que je suis de ces frileux qui refusent de voir la réalité en face, y compris celle de l'âge. S’il y a une chose que je trouve insupportable dans nos sociétés, c’est bien cette habitude du « politiquement correct », où l'on évite d'appeler les choses par leur nom. Un chat est un chat. Et ce n’est pas en remplaçant le mot « aveugle » par « non-voyant » que l'on va redonner la vue à celui qui l'a perdu ! 

   Mais de là à me traiter de « vieux », il y a un pas, une marge même que je ne souhaite pas franchir ! Les poètes, qui savent si joliment dire les choses, racontent que la vieillesse est « le soir de la vie ». Je n’en suis pas encore là. Il me semble qu’il me reste encore de beaux moments, de longues heures même avant que le jour finisse.

Un ami à qui je demandais récemment à partir de quel âge, selon lui, on est vieux, m’a répondu tout de go : « Le plus tard possible. » Lui-même s’en va sur ses 97 ans !                                                             

Il faut savoir que notre régime de « pension de vieillesse » a été institué au début du siècle dernier, en des temps où l’espérance de vie n’était pas ce qu’elle est maintenant. Avoir 65 ans, en 1920, était presque un exploit en soi. On vous devait le respect, on vous demandait conseil, on vous réservait la plus belle place au salon, près de la fenêtre, pour que vous puissiez vous y bercer en paix en attendant de faire vos derniers adieux à la vie. Mais aujourd’hui, à cet âge, on a encore toutes ses dents, et bon pied, et bon oeil. Les pensionnés d’aujourd’hui portent la casquette comme des ados, visière au vent (mais ce n'est pas toujours du meilleur effet), tandis que leurs épouses enfilent le legging comme des jeunes filles. C’est qu’on reste jeune et en forme de plus en plus longtemps, comme ma voisine qui, à 75 ans, fait son spinning tous les matins. Et ma dentiste, elle, qui n’a plus 20 ans non plus, vient d’escalader le mont Washington.

Mais revenons à nos moutons et à ce fameux chèque de pension.

Feu la sénatrice Solange Chaput-Rolland disait qu’elle avait mis un an à se remettre de son premier chèque de pension. Elle l’avait même fait encadrer puis accroché, bien à la vue, au mur de son bureau. Comme pour faire un pied-de-nez au temps qui passe.

J’ai pensé quant en moi en faire des confettis et les lancer aux passants du haut de mon 16e étage. Je n’en ferai rien. Je ne suis pas du genre à jeter mon argent par les fenêtres. Il y a mieux à faire. Ainsi, je vais me contenter d’ouvrir une bonne bouteille de vin et de lever mon verre à la vie, en souhaitant le recevoir encore longtemps, très longtemps même, ce fameux chèque si mal nommé.

Jean-Louis Gauthier, Rédacteur en chef

jean-louis.gauthier@bayardcanada.com 

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