Fière comme une centenaire

Si les premiers colons s’y étaient amenés quelques années auparavant, c’est en janvier 1914 que le lieutenant- gouverneur annonçait officiellement la fondation de la municipalité, dont le nom fut choisi en l’honneur d’Alice Amos, épouse de Lomer Gouin, alors premier ministre du Québec. 

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Amos, où sont nés mes parents: Louis-Claude Gauthier, fils de François-Xavier Gauthier, hôtelier, puis entrepreneur forestier, et Marguerite Larocque, fille d’Hormidas Larocque, journalier, homme à tout faire et aux mille misères. 

À 17 ans, Marguerite allait promener ses rêves de jeune fille, en compagnie de sa soeur Jeanne, sur les trottoirs de bois de la rue Principale. Un soir, son regard a croisé celui de Louis-Claude Gauthier, un grand brun un peu ténébreux. Le mal était fait! Ils se marièrent peu après et firent des enfants, dont un aux yeux bleus comme son grand-père Hormidas et qu’ils ont prénommé Jean-Louis (j’aurais préféré Louis-Jean, mais ça, c’est une autre histoire!). 

Vous aurez compris que ce billet est un hommage à la ville où je suis né, et qu’il sera empreint de chauvinisme du début à la fin. Je dirai d’abord que si mon pays, c’est l’hiver, c’est avant tout l’hiver abitibien et, plus encore, l’hiver amossois, qui bat tous les records les jours de grand frette, mais dont les étés sont aussi les plus chauds du pays. 

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Il y a certainement autant d’Amos qu’il y a d’Amossois. Il y a surtout mon Amos à moi! Car même si j’ai grandi à Senneterre, nous revenions chaque fin de semaine ou presque à Amos, en visite chez tante Margot ou tante Thérèse. Puis, à 13 ans, devenu pensionnaire au séminaire, j’y ai amorcé mon adolescence. 

Mon Amos à moi

Mon Amos à moi, c’est la côte de la cathédrale que j’ai dévalée un jour à toute vitesse sur un tricycle avant de finir ma course tête la première dans le décor. Je porte encore la marque de cette embardée, près de l’arcade sourcilière gauche, preuve irréfutable que j’ai bel et bien eu une enfance.

Amos, ce sont particulièrement mes années de collège... Le Café Radio, où j’allais le samedi après-midi manger une frite. Ah! comme elles étaient bonnes, les frites du Café Radio, dorées et croustillantes, arrosées de vinaigre et saupoudrées de beaucoup de sel. Nous ne savions pas encore que le sel bouche les artères! C’était au beau temps de la tendre insouciance.

Amos, c’est aussi le souvenir d’un étrange spectacle, celui d’une jeune femme qui, telle une Belle au bois dormant, roupillait, paupières closes, dans un grand lit blanc à la vitrine d’un magasin. Je vous jure que je n’ai pas rêvé ça. Tout Amos venait voir la dormeuse qui, si mon souvenir est bon, avait été hypnotisée. Était-ce pour annoncer le spectacle de quelque grand Messmer de passage dans la région ? Je l’ignore. Je me souviens en tout cas d’avoir cogné dans la vitrine pour voir si la belle allait se réveiller. Car telle était la question: dormait-elle vraiment? Une chose est certaine, elle finit par sortir de sa torpeur, puisque le lendemain elle n’était plus là.

Amos, c’est aussi ce magasin où j’ai acheté mon premier disque, Monique Leyrac chante Vigneault et Léveillée... Et cette veste imitation peau de vache trouvée chez Périgny un jour de soldes. Pourquoi faire simple quand on peut faire excentrique? Très jeune, déjà, je voulais me distinguer, agir de façon à me détacher du lot. Amos, c’est aussi la mort de grand-père Hormidas, dont quelques-uns des petits-fils portèrent le cercueil de la résidence funéraire à la cathédrale. J’en étais. Je me souviens très bien d’avoir été tout à coup parcouru d’un long frisson à l’idée de côtoyer la mort d’aussi près.

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Amos, c’est mille et un autres souvenirs que je ne peux pas vous raconter ici faute d’espace. Amos, ma ville natale – j’allais écrire ma ville maternelle. C’est qu’un cordon me relie pour toujours à ce lieu où j’ai été heureux. Mais je ne savais pas à cette époque que le temps allait passer si vite. Cet été, ainsi que je l’ai fait les étés précédents, j’irai revoir ma ville comme d’autres vont revoir leur Normandie, et je serai soulagé de constater encore une fois que mes jeunes années ne se sont pas trop éloignées de moi. Il ne vous est pas interdit de vous y rendre vous aussi même si vous n’êtes pas né dans ce coin de pays. Amos vous attend à bras ouverts, fière comme une centenaire.

Jean-Louis Gauthier Rédacteur en chef

jean-louis.gauthier@bayardcanada.com

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