Mandat en cas d’inaptitude: respectez les étapes

Mandat en cas d’inaptitude: respectez les étapes

Par Ronald McKenzie

Crédit photo: iStockphoto.com

Pouvoirs et devoirs considérables

La rédaction d’un mandat en cas d’inaptitude n’est pas un geste banal. En effet, en tant que mandant, vous confiez officiellement à une personne (votre mandataire) le droit d’agir en votre nom pour toute question que ce soit advenant que vous deveniez inapte.

Comme première lourde responsabilité, votre mandataire sera appelé à donner son consentement aux soins de santé qui vous seront prodigués. C’est lui également qui assurera votre divertissement, administrera vos biens, gérera vos placements, paiera vos comptes, percevra vos revenus, remplira vos déclarations de revenus, etc. «Les pouvoirs et les devoirs du mandataire sont considérables. Voilà pourquoi il importe de le choisir avec soin et d’exprimer ses volontés avec précision dans le mandat», explique Me Michel Beauchamp, notaire à l’étude Beauchamp et Gilbert. Le mandataire s’occupe d’abord de vous. Les autres, fût-ce même votre conjoint, passent en second, avec les conséquences majeures que cela suppose.

Prenons le cas de Luc et de Janine. D’un commun accord, ils ont toujours géré ensemble le FERR de Luc. Janine s’y connaît en placements et elle a un intérêt dans l’affaire puisque le FERR de son mari fait partie du patrimoine familial. Or, dans son mandat en cas d’inaptitude, Luc a désigné non pas Janine, mais son neveu Paul pour administrer ses biens.

Luc étant devenu inapte, Paul a donc pris en charge son FERR, au grand dam de Janine. Avait-elle un mot à dire sur la gestion du FERR? Pas du tout. Et le patrimoine familial, alors? «Le partage est accordé seulement lorsqu’il y a rupture de l’union, comme à la suite d’un décès. Autrement, le patrimoine familial n’entre pas en ligne de compte», indique Me Michel Beauchamp.

Il est donc fortement suggéré d’inclure dans le mandat une clause qui protège le conjoint. Du temps qu’il était apte, Luc subvenait aux besoins financiers de Janine. S’il veut que Paul prévoie de l’argent pour Janine, il doit l’écrire noir sur blanc dans le document. «Sinon, le mandataire pourrait dire qu’il gère l’argent du mandant, point à la ligne, et que si le conjoint veut une pension alimentaire, il n’a qu’à s’adresser aux tribunaux», souligne Me Michel Beauchamp.

Par un notaire

Par un notaire

Comme vous pouvez le constater, un mandat en cas d’inaptitude doit tenir compte de toutes les situations, ce qui n’est pas évident. Bien que ce ne soit pas obligatoire, il serait sage de le faire remplir par un notaire. Outre un document rédigé dans les règles de l’art, un notaire vous apportera trois choses:

  1. Des conseils juridiques sur l’utilité du mandat, ses conséquences, les démarches à effectuer pour le rendre exécutoire, etc.
  2. La simplicité d’exécution. En effet, si vous avez rédigé votre mandat devant deux témoins, l’un de ceux-ci devra être retracé dans le cadre de l’homologation. Avec un mandat notarié, nul besoin de retrouver les témoins.
  3. Une plus grande sécurité, puisqu’un mandat notarié est difficilement contestable. En effet, en cas de chicane de famille autour de votre inaptitude, présumée ou réelle, le notaire pourra témoigner que vous avez bien compris la portée de votre mandat, et que vous avez signé le document alors que vous aviez toute votre tête. De plus, vous et votre mandataire pourrez obtenir autant de copies que voulu, car l’original demeurera entre les mains du notaire.

Combien en coûtera-t-il pour faire rédiger un mandat en cas d’inaptitude? Nous n’avons pas pu obtenir de réponse définitive. En fait, le montant de la facture dépend en grande partie de la complexité de votre situation. Si vous avez des immeubles à revenus et un condo en Floride, ce sera plus compliqué que si vous êtes simplement locataire. Quoi qu’il en soit, attendez-vous à payer plus de 200 $, taxes non comprises.

Par ailleurs, si votre situation personnelle et financière est complexe, il serait peut-être avisé de nommer plus d’un mandataire, car ce dernier pourrait devenir vite surchargé s’il est seul à la tâche. Vous pourriez désigner une personne pour gérer vos actifs et une autre pour voir à votre bien-être, par exemple.

Deux documents essentiels

Deux documents essentiels

Pour que votre mandataire puisse agir en votre nom, il doit faire homologuer (entériner) votre mandat en cas d’inaptitude par la Cour supérieure du Québec. Deux documents lui sont absolument nécessaires.

1. Une évaluation médicale confirmant l’inaptitude. Un médecin doit vous examiner afin d’établir le degré de votre inaptitude. Sur un formulaire officiel, il dira si vous souffrez de troubles d’orientation, de mémoire et de jugement. Il précisera si votre inaptitude est liée à une maladie cognitive ou mentale, ou encore à une déficience intellectuelle. En outre, il répondra aux questions suivantes: êtes-vous capable d’assurer votre propre protection? Pouvez-vous exercer vos droits civils? Pouvez-vous administrer vos biens?

Si vous êtes hébergé dans un CHSLD au moment où vous devenez inapte, l’institution a le devoir de procéder à l’évaluation médicale et à l’évaluation psychosociale. Au contraire, si vous habitez chez vous, votre famille devra demander à votre médecin traitant ou à celui du CLSC de votre région de vous examiner. Elle doit s’attendre à subir des délais plus ou moins longs selon la disponibilité du médecin. Si celui-ci vous connaît bien, les chances sont bonnes qu’il vous examine en priorité. En quelques semaines, la question peut être réglée. L’évaluation médicale ne coûte rien, à moins que le médecin soit désaffilié de la RAMQ.

2. Une évaluation psychosociale. Ici, les choses peuvent se corser si l’inaptitude survient alors que vous habitez chez vous. En effet, certains CLSC sont prompts à effectuer des évaluations psychosociales, mais d’autres les placent plus bas dans l’échelle de leurs priorités. «Selon mon expérience, obtenir une évaluation psychosociale prend au moins six mois dans le réseau public. Quand les familles font face à une telle attente, elles peuvent retenir les services d’un travailleur social en pratique privée», suggère Jocelyne Girard, travailleuse sociale. En général, une évaluation psychosociale faite dans le privé prend de trois semaines à deux mois, en fonction de la complexité du dossier. Certes, c’est plus rapide, mais il faut payer! En 2004, l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec (OPTSQ) a déterminé qu’un tarif «juste et raisonnable» se situait entre 430 $ et 550 $. «Mais il s’agit d’une échelle de grandeur. Si l’évaluation est perturbée par un conflit familial en cours, si le travailleur social doit se déplacer fréquemment pour rencontrer de nombreuses personnes et produire son évaluation dans des délais très courts, par exemple, cela influera sur le prix», dit Luc Trottier, responsable des communications à l’OPTSQ.

Au fait, quelle est l’utilité de l’évaluation psychosociale? «C’est le portrait général de la situation de la personne qui devient inapte. Nous rencontrons le mandant dans son milieu de vie et nous prenons connaissance du contexte relationnel de ce dernier avec les personnes significatives, dont les mandataires. Nous évaluons l’impact de son inaptitude sur les plans physique, cognitif, affectif, familial, personnel et financier, ainsi que sa capacité à exercer ses droits», résume Jocelyne Girard.

Ce n’est pas tout: le travailleur social rencontre également le mandataire. Il vérifie s’il a les capacités d’assumer les responsabilités décrites dans le mandat. Si le mandataire a déclaré plusieurs faillites et qu’il demeure à l’autre bout de la province, le travailleur social va l’indiquer dans son évaluation et émettre un commentaire sur la pertinence de lui déléguer ou non des pouvoirs élargis. De plus, dans certains cas, le travailleur social peut communiquer avec le médecin qui a fait l’évaluation médicale afin de s’assurer que leurs conclusions sont concordantes. En effet, face à des évaluations divergentes, le juge pourrait refuser l’homologation et décider plutôt d’ouvrir une tutelle au majeur, par exemple.

Une fois ces deux évaluations en main, votre mandataire devra prouver que le mandat qu’il détient est le seul valable. Une recherche dans le Registre des dispositions testamentaires et des mandats du Québec sera donc nécessaire. Heureusement, ce registre regroupe tous les testaments et les mandats qui ont été inscrits à la Chambre des notaires du Québec (CDNQ) et au Barreau du Québec. Normalement, une seule recherche suffit. Pour savoir comment procéder, communiquez avec la CDNQ en composant le (514) 879-2906 ou le 1-800-340-4496.

Où obtenir le jugement?

Où obtenir le jugement?


Directement à la Cour supérieure du Québec. Votre mandataire doit commencer par vous aviser officiellement (par huissier) qu’il veut faire homologuer le mandat. Ensuite, il déposera à la cour une requête en homologation, accompagnée de tout le dossier. Le greffier vous convoquera afin de vous interroger pour juger de votre état de santé. Si vous êtes complètement confus, il n’hésitera pas à recommander l’homologation dans son procès-verbal. Si vous êtes lucide et que vous contestez votre prise en charge, il pourrait suggérer d’autres régimes de protection.

Admettons que votre inaptitude ne fait pas de doute. Après examen des preuves, le tribunal livrera un jugement en homologation. Votre mandataire pourra alors utiliser tous les pouvoirs qui lui sont confiés dans le mandat en cas d’inaptitude. Une copie du jugement vous sera expédiée.

Devant un notaire accrédité. Cette procédure est plus simple, car c’est le notaire accrédité qui effectue toutes les démarches juridiques. Entre autres choses, il conduira votre interrogatoire. «Il est beaucoup plus sécurisant pour une personne présumée inapte d’être questionnée par un notaire, surtout si elle le connaît déjà, que par le greffier de la cour qui arrive avec un sténographe officiel», soutient Me Michel Beauchamp.

Par la suite, le notaire accrédité dressera un procès-verbal d’opérations et de conclusions et en déposera une copie au greffe de la cour. Les personnes intéressées recevront une signification du dépôt. Pour finir, un jugement du tribunal accueillera, ou non, les conclusions de ce procès-verbal. Si le tribunal dit oui à l’homologation, votre mandataire pourra remplir son rôle.
Que votre mandataire s’adresse directement à la cour ou qu’il fasse affaire avec un notaire accrédité, la Cour supérieure du Québec doit obligatoirement se prononcer sur l’homologation du mandat.

Combien de temps l’ensemble des démarches judiciaires durent-elles? «Entre un mois et demi et trois mois», estime Me Michel Beauchamp.

Du temps et des frais

Du temps et des frais

Faire homologuer un mandat en cas d’inaptitude requiert donc de l’énergie et du temps, c’est-à-dire plusieurs semaines, voire des mois. Dans l’attente du jugement, votre famille et votre mandataire devront prendre les mesures nécessaires afin de vous procurer les services que commande votre état de santé.

Maintenant, qu’en est-il des frais afférents à une demande d’homologation? Sachez d’abord qu’ils sont tous à votre charge, puisque c’est vous qui recherchez une protection. Pour le détail, voir le tableau Aperçu des frais liés à l’homologation d’un mandat en cas d’inaptitude, ci-dessous.

Aperçu des frais liés à l’homologation d’un mandat en cas d’inaptitude

DémarcheFrais approximatifs (taxes en sus)
Évaluation médicalsans frais*
Évaluation psychosociale 
  • réseau public
sans frais
  • pratique privée
430 $ et plus
Recherche au Registre des dispositions testamentaires et des mandats45 $
Dépôt des documents au greffe de la cour48 $
Signification de la requête109 $
Frais d'huissiervariables (minimum 35 $)
Courrier recommandéVariables
Préparation d'un mandat par un notaire200 $ et plus
Démarches d'homologation faites par un notaire1 500 $ et plus

* Si le médecin est affilié à la RAMQ.

À propos d’argent, votre mandataire aura probablement à régler vos questions financières pendant que le processus judiciaire suit son cours. Afin d’éviter les retards et les désagréments, donnez-lui une procuration bancaire pour qu’il puisse accéder à vos comptes. Car si vous devenez inapte, qui paiera votre hypothèque, vos taxes municipales, votre note de téléphone et vos autres factures? Ces responsabilités vous incomberont encore; assurez-vous que vos proches n’auront pas à les assumer.

mise à jour le 2008-09-19

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